Accès direct au contenu

 

logo du site ENS

Retour à l'accueil du site

Recherche

Accueil  >  Histoires de serpents > Puissant serpent

imprimer

Puissant serpent

Romain Gary, Gros-Câlin

M. Cousin, héros du texte de Romain Gary (1914-1980), souffre de l'absence de relations affectives qui caractérise son existence : un vide qu'il va combler en adoptant un python affectueux, le bien nommé Gros-Câlin...







Lorsqu'on a besoin d'étreinte pour être comblé dans ses lacunes, autour des épaules surtout, et dans le creux des reins, et que vous prenez trop conscience des deux bras qui vous manquent, un python de deux mètres vingt fait merveille.




Romain Gary (Emile Ajar), Gros-Câlin, Mercure de France, coll. Folio,  1974 (p. 33)

Le serpent est l'animal puissant par excellence, en qui se conjuguent forces de vie, et forces de mort - fertilité, et destruction. Bien souvent, dans les images mentales, les représentations littéraires et plastiques, il est l'alter ego, ou le compagnon de l'être humain.
Cette partie de l'anthologie présente quelques uns des principaux aspects du pouvoir du serpent :
 

-Fécondité, richesse
-Venin et antidote
-Puissances du rêve


Fécondité, richesse


Henri Gougaud, Le Serpent d'Ouagadou, conte africain


Il était au royaume du Ghana une cité d'une prospérité fabuleuse : elle la devait au serpent Bira, qui exigeait en retour que chaque année lui soit livrée la plus belle fille de la ville. Adou-le-Taciturn refusera de perdre Sia, e il décapitera le serpent merveilleux.        


Le jeune téméraire qui osa trancher sa tête ruina du même coup l'empire du Ghana, le plus fameux d'Afrique. Les rivières se sont taries ; les dunes du désert ont roulé sur les prairies, la famine et la soif ont poussé les hommes vers des terres plus accueillantes. C'est pourquoi, maintenant, les splendeurs de la ville d'Ouagadou ne sont plus que des rêves sous des linceuls de sable.
Henri Gougaud, L'arbre à soleils, Légendes du monde entier, éd. du Seuil, 1979 (p.43).

Barbara Glowczewski, Le Serpent et la Fille Soleil


La Fille Soleil reproche à sa Mère de tout assécher sur Terre. La Mère envoie alors sa fille, Mardangibidibidi, pour faire les voyages à sa place en passant tous les matins par un petit portail à l'est. Un Serpent sort et s'approche d'elle :
« - Regarde, Soleil, je suis plus beau que toi ! » « Non, je brille plus que toi ! » Ils se disputèrent ainsi. Elle le mit en colère et il la mordit à la cuisse. Awanpangari, ce Serpent, prit un long morceau de chair dans la jambe. C'était un homme. Elle tomba malade.
A travers ce récit, Banggal, un ancien, explique ainsi  qu'à midi, « l'os de la journée », il fait très chaud, car la fille Soleil est à l'agonie. Puis, l'air  rafraîchit progressivement ; elle souffre toute l'après-midi, roule de douleur jusqu'à l'ouest avant de s'envoler pour rejoindre sa mère à l'est.
Ils n'étaient que deux -  le Serpent et la Fille Soleil - à se jalouser l'un l'autre dans l'histoire. Ce sont eux qui commencèrent à se battre, commençant la jalousie qui continue depuis ! conclut Banggal en éclatant de rire.

Barbara Glowczewski, Rêves en colère. Alliances aborigènes dans le Nord-Ouest australien, Ed. Plon coll. Terre Humaine 2004 (p 146-147).

D.-H. Lawrence, Le Serpent à Plumes


Dans ce roman, le plus célèbre du cycle mexicain de D.-H.Lawrence, Le Serpent à Plumes symbolise la puissance phallique de l'ancien Mexique.

QuetzalcoatlAu coeur même de cette terre dort un grand serpent au milieu du feu. Ceux qui descendent dans les mines sentent sa chaleur et sa sueur, ils le sentent remuer. C'est le feu vital de la terre, car la terre vit. Le serpent du monde est immense, les rochers sont ses écailles et les arbres poussent entre ses écailles.
Entre Ramon, figure prophétique qui veut restaurer le culte de Quetzalcoatl, et Cipriano, réincarnation d'Huitzipotchli,  Kate l'héroïne irlandaise connaîtra la jouissance, la fusion entre l'âme, et les forces instinctives du « sacré primitif ».
Elle comprenait très bien le pouvoir qu'avait le serpent sur l'imagination maya ou aztèque ; quelque chose de souple, d'imprécis et de vital en cet homme, donnait l'impression qu'en ses veines circulait le sang des reptiles oui, c'était cela le lourd flux du sang d'un reptile puissant, le « Dragon du Mexique » (...) elle se sentait un peu comme l'oiseau fasciné par un serpent. Au chapitre XIX, Kate et Cipriano seront « mariés par Quetzalcoatl ».

D.-H. Lawrence.  Le Serpent à Plumes, traduction D.Clairouin, Plon 1940.

Friedriech Nietzsche, La volonté de puissance



Le serpent nietzschéen est aussi figure du kaïros, cet art de saisir l'instant.
                                                                                                                                                 (...) La valeur de ce qu'il y a de plus bref, de plus périssable, le séduisant scintillement d'or sur le ventre du serpent vita.

Friedrich Nietzsche, La Volonté de puissance, dans Oeuvres philosophiques complètes, tome XIII, liasse 9 (26), Paris, Gallimard 1987, p.26



Venin et antidote


Dans l'imaginaire, le serpent est caractérisé par une forte ambivalence. Les représentations maléfiques de l'animal, en particulier, sont nombreuses. Le danger biologique que le serpent représente est souvent à l'origine d'une connotation morale négative. Les motifs du venin et de la morsure du serpent, qui se prêtent à la dramatisation, traversent ainsi l'histoire des représentations.

Plutarque, Les Vies des hommes illustres


Entre histoire et mythe, Le récit de la mort volontaire de Cléopâtre convoque dans toute sa force dramatique le thème de la morsure du serpent.
Giampietrino
On prétend qu'on avait apporté à Cléopâtre un aspic sous des figues couvertes de feuilles; la reine l'avait ordonné ainsi, afin qu'en prenant des figues elle fût mordue par le serpent, sans qu'elle le vît. Mais l'ayant aperçu en découvrant les figues, elle s'écria : «Le voilà donc! » et en même temps présenta son bras nu à la piqûre. D'autres disent qu'elle gardait cet aspic enfermé dans un vase, et que l'ayant provoqué avec un fuseau d'or, l'animal irrité s'élança sur elle, et la mordit au bras. Mais on ne sait pas avec certitude comment elle mourut. Le bruit courut même qu'elle portait toujours du poison dans une aiguille à cheveux qui était creuse et qu'elle avait dans sa coiffure. Cependant il ne parut sur son corps aucune marque de morsure, ni aucun signe de poison; on ne vit pas même de serpent dans sa chambre (...). Selon d'autres, on vit sur le bras de Cléopâtre deux légères marques de morsure, à peine sensibles : il paraît que c'est à ce signe que César ajouta le plus de foi; car, à son triomphe, il fit porter une statue de Cléopâtre dont le bras était entouré d'un aspic. Telles sont les diverses versions des historiens.

Traduit et corrigé d'après la traduction de D. Ricard, Plutarque, Les vies des hommes illustres, tome second, Antoine, XCIV,  Lefèvre Librairie-éditeur, Paris, 1836 (p. 424).

Philippe Descola, Par delà nature et culture


C'est sur l'anecdote d'une  morsure de serpent que s'ouvre l'introduction à la réflexion anthropologique sur le rapport entre l'homme et la nature, « Par-delà nature et culture », qui fait l'objet de l'ouvrage. 

Vers le milieu de l'après-midi, tandis qu'elle vidait les déchets de la cuisine dans les fourrés surplombant la rivière, la femme de Chumpi s'était fait mordre par un serpent. Se précipitant vers nous, les yeux dilatés par la douleur et l'angoisse, elle hurlait : « Le fer-de-lance, le fer-de-lance, je suis morte, je suis morte ! » La maisonnée en alerte avait aussitôt fait chorus : « Le fer-de-lance, le fer-de-lance, il l'a tuée, il l'a tuée ! »

Philippe Descola, Par delà nature et culture, Gallimard, Paris, 2005,  p.19

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra


Le serpent est ici l'occasion d'une méditation sur le dépassement de la morale judéo-chrétienne. Surmontant la souffrance infligée par la morsure, Zarathoustr affronte la vipère, et s'émancipe de la morale traditionnelle, pour parvenir « par-delà bien et mal ».
 
De la morsure de la vipère.
Un jour, comme il faisait chaud, Zarathoustra s'était endormi sous un figuier et il avait mis ses bras sur son visage. C'est alors qu'une vipère vint et le mordit au cou de telle sorte que Zarathoustra poussa un cri de douleur. Lorsqu'il eût ôté le bras de son visage, il regarda la vipère : elle reconnut alors les yeux de Zarathoustra, se tordit de façon maladroite et voulut partir. « Mais non », dit Zarathoustra, « tu n'as pas encore accepté mes remerciements. Tu m'as réveillé à temps, mon chemin est encore long. » « Ton chemin est encore court », dit tristement le serpent, « mon venin tue. » Zarathoustra sourit : «  Un dragon est-il jamais mort du venin d'un serpent ? » dit-il. « Mais reprends donc ton venin ! Tu n'es pas assez riche pour me l'offrir. » C'est ainsi que la vipère se jeta à nouveau à son cou et lécha sa blessure.
Lorsque Zarathoustra raconta l'histoire à ses disciples, ils lui demandèrent : « Et quelle est - ô Zarathoustra - la morale de ton histoire ? » Zarathoustra répondit ainsi : « Les bons et les justes m'appellent le destructeur de la morale. Si vous avez un ennemi, ne rendez pas le bien pour le mal : car cela lui ferait honte. Mais prouvez lui qu'il vous a fait du bien (...).

Texte traduit par Madeleine Claus.

Léonard de Vinci, Les Carnets


A sa morsure il n'est pas d'autre remède que de couper, sur le champ, la partie atteinte.

Léonard de Vinci, Les Carnets, chapitre XLIII, texte traduit par Louise Servicen, Gallimard, coll. Tel, Paris, 1987 (p. 390).

L'origine de la plante qui fait revivre, conte coréen


Vers la fin de la dynastie des Li, à Ham-haing, vivait un étudiant en médecine nommé Imsaing. Dès son jeune âge, il parcourut les huit provinces afin d'étudier, auprès des plus célèbres médecins, les théories des sciences médicales et de la thérapeutique par les plantes.
Un jour, après avoir cheminé nuit et jour, il parvint au coucher du soleil sur une colline. Epuisé, il s'affala sur un rocher. Il vit alors un animal jaunâtre qui creusait le sol : une belette.
Intrigué, Imsaing s'approcha. La belette le regarda fixement, d'un air hostile. Elle émit un pet puant, puant si fort, que le nez d'Imsaing s'en offusqua, et qu'il eut du mal à respirer. C'est par cette odeur offensive que la belette se défend contre ses ennemis. Puis la belette reprit son travail et édifia en peu de temps un tertre où elle avait pratiqué un orifice à sa taille. Elle se reposa un instant, puis disparut sous un rocher.
Peu après, elle ressortit, éperdue, revenant à son tertre. Elle était poursuivie à toute allure par un serpent long de deux brasses, au corps épais comme un tronc d'arbre. Le serpent ouvrit grand la gueule, comme s'il n'allait en faire qu'une bouchée. La belette lui lança un pet incroyablement puant et se réfugia dans son trou, où le serpent la suivit. Imsaing ne pouvait pas voir les combattants, mais imaginait la violence des coups d'après les oscillations du tertre.
Soudain, la belette sortit du trou, jeta un coup d'œil à l'intérieur et y enfonça son museau. Le corps du serpent émergea. La belette le mordit férocement et l'acheva. Imsaing, de plus en plus intrigué, regardait avec attention la belette qui fendait de ses griffes la peau du serpent pour lui ouvrir le ventre.
Elle en sortit trois petites belettes mortes, disparut un instant, revint avec des herbes. Elle en frotta le museau de ses petits. Au bout d'une demi-heure de soins, les petites belettes recouvrèrent la vie. Alors, la mère belette disparut avec sa progéniture.
Cet événement merveilleux éveilla la curiosité du médecin Imsaing. Il ramassa les herbes que la belette avait abandonnées, les examina, les mit soigneusement dans sa poche et s'en fut. Et c'est depuis qu'il sait soigner les morsures de serpent.

D'après  Maurice Coyaud et Jin-Mieung Li, Contes et légendes de Corée, Flies France, Paris, 2003, pp. 108-112.

Depuis l'antiquité, le thériaque est réputé être l'antidote idéal à tous les venins. Jusqu'au 19ème siècle cette préparation pharmaceutique contient de la poudre de vipères séchées.

Pline, Histoire naturelle


Le raisin thériaque, dont nous avons parlé en son lieu, se mange pour combattre les morsures de serpents.

Pline, Histoire naturelle, livre XXIII, § 11, traduction de Jacques André, les Belles Lettres, collection des universités de France Paris, 1971 (p. 25).

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince


Le petit prince a rendez-vous avec un serpent. (...)
Il dit :
- Voilà... C'est tout...
Il hésita encore un peu, puis il se releva. Il fit un pas. Moi je ne pouvais pas bouger. Il n'y eut rien qu'un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit même pas de bruit, à cause du sable.

Antoine de Saint Exupéry, Le Petit Prince, chapitre XXVI. Paris, Gallimard 1953, p.492-493

Puissances du rêve

Le serpent semble bien être l'animal onirique par excellence. A ce titre, il intéresse tout particulièrement les chercheurs en sciences humaines, tant sur le versant de l'anthropologie, que sur celui de l'investigation de l'inconscient.

Claude Lévi-Strauss, La Potière jalouse

S'interrogeant sur la nature de la pensée mythique, l'auteur étudie « la pensée de Freud comme pensée mythique authentique » ; il affirme que « c'est Totem et tabou tout entier qu'avec une bonne longueur d'avance, les Indiens Jivaros ont anticipé dans le mythe qui leur tient lieu de Genèse », au moyen de l'analyse du mythe du serpent Ahimbi : « les enfants nés de l'inceste voulurent venger leur aïeule ; ils décapitèrent l'époux de leur mère dans le style Totem et tabou ».

Profitant d'une longue absence de son père Unushi, le serpent Ahimbi coucha avec sa mère Mika, la jarre en poterie : comme si les deux coupables symbolisaient respectivement les organes mâles et femelles - serpent et vase - voués par la nature à s'unir au mépris des règles sociales qui viendraient restreindre cette liberté.
Claude Lévi-Strauss, La Potière jalouse, Plon 1985 (p. 244)

Philippe Descola, Les Lances du crépuscule


Les travaux de nombreux anthropologues s'intéressent aux récits de rêves de leurs informateurs, et aux interprétations qu'ils en fournissent. Ainsi Philippe Descola, qui établit les différentes catégories de songes des Indiens Achuar chez qui il a séjourné. Le serpent  joue un rôle remarquable dans les rêves Mesekrampar - rêves prémonitoires de malheur ou de mort, comme le rêve d'anaconda de son ami Wajari : je rêve qu'il s'enroule autour de moi pour m'étouffer, peut-être vais-je mourir, pour rien ? Pujupat ne va-t-il pas me tuer avec son fusil, caché au bord de la rivière ? Wajari poursuit avec le récit d'un rêve érotique : Quand j'étais plus jeune aussi, je n'avais pas encore épousé Santamik, j'ai rêvé que je copulais avec une femme très belle, à la peau pâle, qui me serrait fort entre ses cuisses. Ayant ainsi rêvé, j'ai été mordu par un serpent fer-de-lance au cours d'un abattis, pendant longtemps j'étais comme mort, ma jambe était pleine de vers, c'est un chamane de Bobonaza qui m'a guéri. P.Descola commente ainsi l'interprétation de l'Indien :

Ainsi la morsure d'un serpent se profile-t-elle dans l'analogie transparente du coït (...). De même, l'attaque fort improbable par un anaconda apparaît dans un rêve d'étouffement par une moustiquaire. En augurant un danger naturel d'un songe irrigué par des activités proprement humaines, l'exégèse achuar rétablit pourtant sur ses pieds l'ordre des responsabilités. Les jaguars, les anacondas ou les serpents venimeux sont, en effet, les auxiliaires zélés des chamanes et la menace qu'ils font planer sur les Indiens n'est finalement que l'expression d'un péril plus réel dont ils sont les instruments consentants.
L'articulation entre l'étude de ces interprétations de rêve par les Indiens, et celle des mythes et des faits sociaux dans la culture achuar, permet à l'auteur de conclure :
(...) Les rêves de mauvais augure témoignent de ce que la nature est moins à craindre que l'animosité d'autrui. Dans ce théâtre onirique de l'infortune, les animaux n'apparaissent que comme des figurants ; ils servent de métaphores pour des ennemis humains, que l'on ne sait nommer, et lorsque parfois le travail de l'interprétation dévoile en eux des dangers anonymes, c'est encore d'un personnage redoutable qu'ils sont la métaphore, le chamane.

Philippe Descola, Les Lances du crépuscule, Relations Jivaros, Haute-Amazonie.Terre Humaine/Plon, 1993, (p. 130, 131, 132)

Barbara Glowczewski, Rêves en colère







Nimbayabula Wayna bunginyi nyimbi wanbula wawa bunginyi Wangal wara waru yirra kampunya

Nimbayabula Wawa bunginyi nyimbi wanbula Wangal wara wara yirra kampunya djidi kampunya  (...)

Banggal, un ancien, venait de chanter le rêve Wunggurr :

Serpent est allé vers l'est et s'approcha d'Homme-Lune (...) Tu ne peux pas approcher, dit : Homme-Lune à Serpent, « c'est ta belle-mère qui est là » (...).
Serpent dit « Uhuh, uhuh..., non, je veux ma belle-mère de peau, je veux dormir avec elle. » C'est ainsi que nous avons rompu avec les gens du Serpent. Lune avait proposé comme épouse sa propre fille, et Serpent a préféré la belle-mère ! (...)»


Barbara Glowczewski commente le rêve Wunggurr en dégageant la figure de « nouage » qui en est le principe :
Banggal parle de djidi, le « nœud » qui joint les gens entre eux dans la parenté et l'alliance comme la corde qui permet d'amarrer un bateau (...) » mais « les figures d'êtres doubles qui s'avalent, se recrachent, se projettent au ciel tels (...) les Pléiades, Serpent Arc-en-Ciel ou Serpent en double hélice pouvoir de la pluie, illustrent aussi des processus complexes de nouages. (...) La compréhension en « profondeur » des processus de nouages entre les hommes et leur environnement, le savoir dit du « dedans », se révèle dans les rites sacrés.

Barbara Glowczewski, Rêves en colère. Alliances aborigènes dans le Nord-Ouest australien, Ed. Plon coll. Terre Humaine 2004 (pp.178-179).

Sigmund Freud et Joseph Breuer, Etudes sur l'hystérie




"Parmi les animaux qui sont utilisés dans la mythologie et le folklore comme symboles génitaux, plusieurs jouent aussi ce rôle dans le rêve : le poisson, l'escargot le chat, la souris (à cause de la toison génitale), mais avant tout le symbole du membre masculin le plus significatif : le serpent", écrit Freud dans
L'interprétation du rêve [1].

Àprès Totem et Tabou, certains psychanalystes se sont hasardés à interpréter les contenus psychiques de la mentalité primitive - ainsi, Géza Rohem [2] qui, en 1945, à l'instigation de Freud, étudia la culture australienne à la suite de Radcliffe-Brown, et s'intéressa particulièrement au thème du serpent : convaincu que le mythe du serpent arc-en-ciel est étroitement lié au mécanisme d'introjection-projection, il conclut que le rôle du serpent dans les croyances australiennes s'explique par deux qualités principales : d'une part, les serpents se tiennent dressés, et représentent par conséquent le phallus en érection; mais d'autre part, ils avalent des êtres, et cristallisent ainsi les fantasmes et les angoisses liés au vagin et à l'utérus.




Le motif du serpent traverse la littérature psychanalytique dès la fondation de la discipline : il apparaît dans l'étude du cas d'Anna O. par Breuer, dans les Etudes sur l'hystérie, qui démontrent le principe et l'efficacité de la cure, puisque "chacun des symptômes disparaissait quand on réussissait à mettre en pleine lumière le souvenir de l'incident déclenchant." Breuer décrit l'incubation et la pathogénèse de la maladie de la jeune fille, alors qu'elle gardait, la nuit, son père malade :


Portrait de femme, dit de Simonetta Vespucci (détail)
Elle tomba dans un état de rêverie et aperçut, comme sortant du mur, un serpent noir qui s'avançait vers le malade pour le mordre. (...) elle voulut mettre en fuite l'animal, mais resta comme paralysée, le bras droit endormi, insensible, et devenu parésique, pendant sur le dossier de la chaise. En regardant en bas, elle vit ses doigts se transformer en petits serpents à tête de mort (les ongles). Sans doute avait-elle tenté de chasser les serpents à l'aide de sa main droite engourdie, d'où l'insensibilité de celle-ci, associée à l'hallucination des serpents.
Cette expérience angoissante se renouvelle : (...) Quand, un autre jour, elle voulut enlever du buisson où il avait été lancé pendant un jeu, un certain anneau, une branche tordue ramena l'hallucination du serpent et de nouveau le bras se trouva raidi (...) c'est ainsi que se trouva créée la tendance aux absences autohypnotiques.

[1] S.Freud, Oeuvre complète, T.1V l'interprétation du rêve, Chap. VI, le travail du rêve - E - La présentation au moyen de symboles dans le rêve. Directeurs de la publication, André Bourguignon Pierre Cotet. Directeur scientifique, Jean Laplanche. PUF 2004.
[2] Géza Rohem, Héros phalliques et symboles maternels dans la mythologie australienne, Gallimard 1970.

S.Freud et J.Breuer Etudes sur l'hystérie, Traduit de l'allemand par Anne Berman, PUF 1956

Sigmund Freud, La Tête de Méduse



Si les cheveux de la tête de Méduse sont si souvent figurés par l'art comme des Pierre Puget, Persée délivrant Andromède (détail)serpents, c'est que ceux-ci proviennent à leur tour du complexe de castration et, chose remarquable, si effroyables qu'ils soient en eux-mêmes, ils servent pourtant en fait à atténuer l'horreur, car ils se substituent au pénis dont l'absence est la cause de l'horreur. (...) La vue de la tête de Méduse rend rigide d'effroi, change le spectateur en pierre (...) Car devenir rigide signifie érection, donc, dans la situation originelle, consolation apportée au spectateur. Il a encore un pénis, il s'en assure en devenant lui-même rigide.

S.Freud, Résultats, idées, problèmes II, PUF, 1985, (pp. 49-50)

Carl Gustav Jung, L' homme à la découverte de son âme


C'est un rêve de serpent qui fournit à C.G.Jung la matière de l'un des exposé qu'il a consacrés à sa théorie de l''inconscient collectif' - cette sphère interne de l'inconscient, située au coeur même de l''inconscient personnel' [3]. Dans Du rêve au mythe [4], en effet, il veut montrer que le rêve peut émaner de l'inconscient collectif, et être fait pour l'essentiel d'une substance mythologique, et que ce type de rêve - ou d'autres matériaux psychiques, tels que les contes ou les mythes, exige une méthode d'interprétation spécifique. Il relate le rêve d'un jeune patient dépressif, qui lui permet de comprendre pourquoi il se suicida :

(...) Sous la cathédrale de Tolède se trouve une citerne pleine d'eau en relation serpent en alcool, musée des Confluencessouterraine avec le Tage. Cette citerne est une petite chambre obscure. Dans l'eau  se trouve un très gros serpent dont les yeux brillent comme des pierres précieuses. Près de lui une épée et un poignard. Ce poignard est la clé de Tolède et il confère à son détenteur la suzeraineté sur la ville. Le serpent - je le savais - était l'ami et le protecteur d'un certain Monsieur B.C. Celui-ci était tout d'abord avec moi dans la chambre obscure et mettait son pied dans la gueule du serpent qui le lui lêchait de la façon la plus amicale, tous deux y prenant du plaisir (...)
Puis, le rêveur s'entretient avec le serpent, qui lui demande de lui rendre l'enfant ( - son ami). C.Jung examine ensuite longuement le contexte de cet énoncé, ce  grand rêve dont les Primitifs ont l'intuition que leur signification intéresse tout le groupe social : le serpent - assimilé ici au dragon des légendes du monde entier, y  incarne le psychisme obscur, l'inconscient, le monstrueux, capable de se dresser en nous et de nous rendre mortellement malades.
Nous rencontrons là (...) une représentation primitive et originelle : les sorciers africains passent aux yeux de leur tribu pour être accompagnés de démons, ayant forme de reptile, et l'âme passe alors pour être un serpent (...) C'est parce que le serpent défend l'accès à la totalité de l'être (...) qu'il faut descendre jusqu'à lui (...) l'instinct profond en nous aspire à retrouver l'enfant.(...) Cette descente dans l'antre du serpent, qui figure un problème ancestral, est, aussi, une reviviscence d'un patrimoine culturel ancestral (...) Notre rêve est donc comme la remémoration d'antiques mystères d'initiation. Après avoir établi le rapport entre ces contenus, et le poids d'une culture chrétienne, qui se serait bâtie, telle la cathédrale, sur la crypte d'un paganisme trop bien caché, C.G.Jung conclut :
L'amitié que le rêveur avait pour ce monsieur B.C., qui savait commercer avec le serpent, aurait dû lui indiquer quelle attitude il fallait faire siene pour aborder le dragon avec profit. Quel secret gardait ce dernier ? A quoi l'Eglise chrétienne s'était-elle donc fermée? (...) C'est le secret terrestre de l'âme inférieure et de l'homme naturel qui ne vit pas de façon purement cérébrale, mais chez qui la moelle épinière et le sympathique ont encore leur mot à dire.

[3] Cf le schéma IV de L' homme à la découverte de son âme : structure et fonctionnement de l'inconscient, de C. G. Jung ; préf. et trad. de R. Cahen-Salabelle. - Genève ; Annemasse : Editions du Mont-Blanc, 1944.
[4] Du rêve au mythe. Introduction à la psychologie analytique (troisième partie). Chap. 8 de L' homme à la découverte de son âme : structure et fonctionnement de l'inconscient.

C.G.Jung, L'Homme à la découverte de son âme : structure et fonctionnement de l'inconscient. Préf. et trad. de R. Cahen-Salabelle. - Genève ; Annemasse : Editions du Mont-Blanc, 1944 (p. 370, 371, 391)

Marie Balmary, Abel ou la traversées de l'Eden


Le mythe de la Genèse est un objet privilégié pour l'élucidation psychanalytique de l'énigme du serpent. Objet d'un échange entre Freud et Jung (cf. Lettre à Jung du 17 décembre 1911), la lecture de ce texte, et singulièrement l'interprétation de la figure du serpent, dans laquelle s'originent les représentations du mal - faute, ou péché,  n'a cessé de renouveler les interprétations - parmi lesquelles, celle de M.Balmary, qui se situe entre exégèse biblique et psychanalyse.

Le serpent a l'apparence de ce qui manque à la femme (...) Chacun des deux sexes, évidemment, est manquant de l'autre, mais pas de la même façon. Si l'homme n'a Makingpas les deux sexes lui non plus, du moins, il a. Il a un organe visible. C'est le pôle plus de la sexualité, le pôle plein. Tandis que le féminin, on le sait dès la naissance des filles, apparaît d'abord comme le creux, le sexe invisible, le pôle négatif quant au phallus (...) ce qui se manifeste sous la forme hallucinée du serpent qui parle est ce qu'a l'homme, que la femme n'a pas. Il est une des preuves que le dieu n'a pas donné tout, et c'est en effet la femme qui peut s'en apercevoir la première, étant elle-même du côté du qui n'a pas. Ainsi donc, détaché du corps de l'autre, le serpent-phallus peut figurer la différence des sexes vue seulement en termes d'avoir / ne pas avoir... :
Ce serpent que la femme voit et entend n'est donc rien d'autre que son manque (...) Car, c'est vrai, le dieu n'a pas donné la totalité à chacun.

Marie Balmary,  Abel ou la traversées de l'Eden, Grasset 1999, chapitres 5 et 6.

Retour au haut de la page






























































Dessin (Mali), représentant le puits
du serpent sacré Wagadu auquel on fait
le sacrifice annuel d'une jeune fille.
Musée du quai Branly, Paris











































Quetzalcoatl.
Mexique, culture aztèque,
1400-1521.
Sculpture, andésite,
43 x 25 x 24 cm.
Paris, musée du quai Branly
(œuvre présentée au Pavillon des sessions).
 
 
Mise à jour le 13 décembre 2008
Ens de Lyon
15 parvis René Descartes - BP 7000 69342 Lyon Cedex 07 - FRANCE
Tél. : Site René Descartes (siège) : +33 (0) 4 37 37 60 00 / Site Jacques Monod : +33 (0) 4 72 72 80 00