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Divin serpent

Fernando Pessoa, Le Chemin du Serpent


                                                                                                                                           
Dans ce r
ecueil posthume de pensées fragmentaires, le chemin du serpent représente la paradoxale absence, pour l'esprit, de chemins tout tracés, et les mues du serpent, les métamorphoses successives de l'esprit dans sa quête "indéfinie" de l'être.

Il traverse tous les mystères et n'en connaît cependant aucun, car il en connaît l'illusion et la loi. Il ne prend plusieurs formes que pour se nier lui-même en elles et par elles, car comme son passage ne laisse aucune piste en ligne droite, il peut cesser d'être ce qu'il a été puisqu'il ne l'a pas véritablement été. Il quitte le Serpent de l'Eden comme une mue, il quitte Saturne et Satan comme une mue, toutes les formes qu'il prend ne sont que ses mues. Et quand, sans avoir suivi aucun chemin, il parvient jusqu'à Dieu, il passe, pour n'avoir emprunté aucun chemin, au-delà de Dieu, puisqu'il est arrivé là du dehors.

F.Pessoa, Le Chemin du serpent, Paris, Christian Bourgois, 1997, p. 397


Présent dans presque toutes les cultures du monde, le serpent fait souvent l'objet d'un culte ; dans les grandes mythographies, il est investi d'une singulière puissance symbolique ; parfois, il est divinisé.
Cette partie de l'anthologie illustre la relation du serpent au sacré et au religieux, à travers une organisation géographique :

-Océanie
-Afrique
-Asie
-Amériques
-Monde occidental


OCÉANIE

Mythes des Aborigènes d'Australie

Julunggul


Les deux sœurs Wawalag voyagaient à travers le pays et arrivèrent au puits sacré. La sœur aînée mit au monde un enfant et le sang de l'accouchement attira l'attention de Julunggul, le python géant qui vivait là. Les sœurs, qui ne s'en doutaient pas, se décidèrent à y passer la nuit. Alors qu'elles préparaient le repas, toutes les provisions qu'elles avaient apportées furent emportées dans le puits par une force mystérieuse. Puis, il se mit à pleuvoir, mais pas comme à l'habitude : la pluie était torrentielle, remplit le puits et inonda le pays. La benjamine vit à travers le voile de la pluie la silhouette d'un serpent gigantesque, et elle comprit qu'il n'était autre que Julunggul, le Serpent Arc-en-Ciel. Les jeunes femmes dansèrent autour du puits pour se protéger du python, puis se mirent à l'abri et tombèrent dans un profond sommeil. Grâce à ses yeux de lynx, Julunggul les trouva qui dormaient. Il encercla de son corps immense le puits et l'abri qu'elles avaient trouvé afin d'empêcher qu'elles ne s'échappent. Il ouvrit la bouche et avala tout ce qui se trouvait entre ses anneaux : le bébé, les sœurs et leur abri.

Adaptation de Aboriginal Myths, Tales of the Dreamtime, A. W. Reed.

Le Serpent Arc-en-Ciel


Un mythe de North Goulburn Island se termine par la mort du Serpent Arc-en-Ciel - destin extraordinaire pour cet esprit tout puissant.

A Arunawanbain, un lieu dont le nom signifie « Quelque chose nous mangea », un petit garçon orphelin vivait avec sa grand-mère maternelle. Même si elle prenait bien soin de lui, c'était différent d'avoir un père qui pourrait lui apprendre à suivre la piste des petits animaux, et ses camarades se moquaient de lui parce qu'il n'en avait pas. L'enfant ne cessait pas de pleurer, jour et nuit, et ses plaintes dérangèrent le Serpent Arc-en-Ciel. Il déroula ses anneaux, ondula jusqu'au village et trouva l'enfant qui pleurait toujours. Il ouvrit grand la gueule et avala l'enfant et sa grand-mère.
Il attrapa aussi tous les autres membres de la tribu qui paniquaient et couraient sans but d'un refuge à l'autre. Le village fut vite déserté et le serpent traîna lentement et péniblement son long corps à travers l'île : son ventre était lesté par les gens qu'il avait avalés. Cependant sa faim n'était pas encore assouvie et en passant près d'un autre village, il engloutit plusieurs personnes. Mais il rencontra cette fois-ci de la résistance : son ventre fut percé de centaines de lances qui dépassaient comme des épines de cette masse immense. Epuisé par le poids de son ventre distendu, il s'effondra et mourut. Les guerriers ouvrirent le corps et libérèrent les membres de la tribu qui s'y trouvaient emprisonnés. Le sillon que le serpent creusa au cours de cette journée rappelle aux hommes que même un ancêtre aussi puissant et implacable que le Serpent Arc-en-Ciel a été un jour mis à mort par des mains d'hommes.

Adaptation de Aboriginal Myths, Tales of the Dreamtime, A. W. Reed.

AFRIQUE


Le livre des morts des anciens Egyptiens


Apophis


Papyrus : Livre des Morts de PtahmesOmniprésent dans l'Egypte ancienne, le serpent y symbolise des forces contradictoires - tantôt obscures et maléfiques, tantôt bénéfiques et régénératrices. Apophis (ou parfois Rerek), le dieu serpent, y symbolise les puissances du chaos, les forces du mal - c'est l'opposant par excellence de Rê, le dieu solaire, qui chaque nuit, doit résister à ses multiples assauts, puis le renverser, afin de permettre à la lumière de  triompher des ténèbres. Au cours de son voyage sur la barque solaire, Osiris est abrité par le serpent Mehen. La régénération de Rê se fera lorsqu'il se sera uni à son propre corps - le cadavre d'Osiris, protégé par un triple serpent.




Chapitre 7 Formule pour traverser le dos d'Apophis (le banc de sable), qui est le mal. Dit l'Osiris N : O unique en cire  qui enchaînes et entraînes à la destruction, vivant de ceux qui sont morts, je ne suis pas immobile (mort) pour toi; ton poison ne pénètre pas mes membres. Comme je suis caché pour toi, tu n'approcheras pas de mes membres. Je suis l'Unique (Atoum) dans l'Eau primordiale (Noun); mon état est l'état de tous les dieux (dans l'Eternité). Je suis l'Etre aux noms mystérieux qui se prépare des demeures de millions d'années. Je suis issu d'Atoum. Je sais, je sais.

Chapitre  33 Formule pour chasser tout reptile.. O reptile (Rerek) ! Ne marche plus ! Geb et Chou sont dressés contre toi, arrêtes-toi! Tu as mangé le rat détesté du soleil, tu as dévoré les os du chat impur.


Chapitre 39 Formule pour repousser Rerek dans la divine région inférieure.
Arrière, marcheur qu'on fait reculer, provenant d'Apophis! Sois submergé dans le bassin de Noun, à l'endroit prescrit par ton père, pour que tu y sois frappé. Eloigne-toi du lieu de naissance de Rê. Tremble, je suis Rê. Tremble. Arrière! On détruit ton venin. Rê te renverse, les dieux te renversent. Ton coeur est arraché. Par Mafdet (déesse félin), tu es enchaîné par la déesse Heddet (déesse scorpion); ta blessure est prescrite par la vérité. Sont renversés ceux qui sont sur le chemin, est renversé le marcheur. Apophis, l'ennemi de Rê, pénètre à l'orient du ciel aux cris de la nuée orageuse, aux rugissements de l'ouvreur des portes de l'horizon; lorsqu'on voit poindre les bras de Rê surgissant, il succombe massacré.

J'ai agi selon ton coeur, j'ai fait le bien, j'ai agi convenablement, o Rê ! j'ai fait réjouissance à l'enchaînement exécuté pour Rè. Apophis est renversé, il est lié, enchaîné, garotté par les dieux du Sud, du Nord, de l'Ouest et de l'Est : ils l'ont enchaîné dans chacun de tes endroits. Aker (dieu du sol) l'a renversé, le chef de la porte de l'Abîme (Thot) l'a garotté. Paix! Paix à Rê ! Il navigue en paix.

D'après Le Livre des morts des anciens Egyptiens, Traduction complète d'après le papyrus de Turin et les manuscrits du Louvre Par Paul Pierret, Paris, Ernest Leroux Editeur, 1882 ( p.23, 123, 135)

Chapitre 39 (suite) Tombe, Apophis, ennemi de Rê! Ce que tu as goûté est plus fort que ce goût qui est suave au coeur de Heddet ; rude est ce qu'elle t'a infligé, de sorte que tu seras malade de son traitement éternellement. Tu ne raidiras plus (ton membre), tu n'éjaculeras plus, Apophis, ennemi de Rê ! Détourne ton visage, car Rê a horreur de te voir ! Arrière !

Le Livre des morts des anciens Egyptiens, introduction, traduction, commentaire de Paul Barguet. Editions du Cerf, 1967 (p.81)

LIVRE DES MORTSChapitre 108  Formule pour connaître les âmes  de l'occident. Cette montagne de l'enfantement au ciel, dont on s'approche lorsqu'on est à l'est du ciel, a 370 perches de long et 140 coudées de large. Sebek est le seigneur de cette montagne de l'enfantement à l'est du ciel où son temple est au dessus des... Il y a un serpent au front de cette montagne, il a 30 coudées de long et 10 de large, et 3 coudées à sa partie antérieure qui est en pierre dure. Je connais le nom de ce serpent qui est sur la montagne : celui qui est dans sa flamme est son nom. Lorsqu'après la durée du soleil renversement est fait sur lui, ses yeux sont sur Rê. Lorsqu'ensuite il se dresse contre la barque, il est longuement regardé par ceux qui font naviguer la barque.




Chapitre 149 (....) O celui qui sauvegardes cette demeure mystérieuse ! O cette montagne très haute de la divine région inférieure sur laquelle se pose le ciel, qui a 300 perches de haut et 30 perches de large! Sur elle est un serpent nommé Sati qui a soixante coudées d'étendue et qui vit de l'égorgement des mânes et des morts dans la divine région inférieure. Je me tiens dans ton enceinte, je navigue dans la barque ( je vois l'Unique par toi). Je suis vigoureux. Je suis le mâle que tu envelopes. Je suis sain comme tu es sain. Je suis maître des enchantements. Rê me donne mes yeux par lesquels je suis éclatant et que redoute l'animal qui marche sur son ventre. Tu parviens par la force (ta montagne, je fais que tu la gravis). Ta force est avec moi. Je donne l'essor à la force. J'arrive pour enlever Aker. Je me repose le soir. Je parcours le ciel en ta personne dans la Vallée. J'ai ordonné des ofrandes pour toi sur terre devant le dieu grand d'Héliopolis (de la divine région inférieure).

D'après Le livre des morts des anciens Egyptiens, Traduction complète d'après le papyrus de Turin et les manuscrits du Louvre par Paul Pierret, Paris, Ernest Leroux Editeur, 1882 (p.321, 322, 510, 511)

Uraeus











Le cobra est aussi le symbole du dieu solaire :  c'est l'oeil enflammé de Rê (la déesse Ouadjyt), qui se dresse sur chacune des deux couronnes royales - l'uraeus, puissance magique invincible, et signe de fertilité (cf. Renenoutet, la déesse des moissons au corps de serpent).

Chapitre 34. Formule pour que l'homme ne soit pas mordu par le serpent dans les divines régions inférieures. O cobra ! Je suis une tête de flamme (uraeus) rayonnant pour des millions d'années sur les plantes qui se renouvellent, éloigne-toi de moi car je suis Mafdet (déesse félin)

D'après Le livre des morts des anciens Egyptiens, Traduction complète d'après le papyrus de Turin et les manuscrits du Louvre par Paul Pierret, Paris, Ernest Leroux Editeur, 1882 (p.125)

Olokun, Osun


La représentation des dieux du panthéon vodu, au Bénin, est toujours hybride : elle associe à des symboles humains, des symboles animaux.

Dans l'antique royaume du Bénin (au sud de l'actuel Nigéria), l'Oba est l'intermédiaire tout-puissant entre le monde des hommes, et celui des esprits, ancêtres ou dieux

Plaque provenant du décor du Palais royal d'Abomey« Le dieu Olokun, fils du créateur Osanobua, constitue l'une des colonnes spirituelles qui est en étroite relation avec la puissance surnaturelle du roi. Intimement lié à l'eau, à la richesse, à la beauté et à la fertilité, il représente le monde dans sa perfection. Les animaux qui lui sont le plus étroitement associés sont le serpent et le crocodile, qui ont une aptitude particulière à pouvoir vivre tout à la fois sur terre, domaine de l'homme, et dans l'eau, domaine d'Olokun » (Armand Duchâteau, Bénin Trésor Royal, éd.Dapper 1990).  Le serpent est particulièrement lié à deux divinités : Olokun  (la mer),   associé au silure, au crocodile, et au python, et Olosun ;  (...) Olosun, la force spirituelle qui conférait leur puissance aux plantes médicinales, aux insectes, aux reptiles, et aux autres produits dangereux de la forêt.                               


Aux XVIè et XVIIè siècle, en particulier au contact des négociants portugais, les Eventail cultuel d'Osun. Musée du quai Branlyartistes sculpteurs de la cour de l'Oba ont développé une figuration spécifique, et des supports originaux, en particulier des plaques de bronze, décorées de hauts ou bas-reliefs aux motifs chargés de symboles. Les serpents sont en effet présents partout dans l'art du Bénin ; ainsi : (...) d'énormes têtes de serpents, des fragments de corps de serpents décoraient les toits des bâtiments et étaient destinés à être vus de loin.

Exposition au musée du Quai Branly, Bénin, 5 siècles d'art royal, 2 oct.2007 - 6 janv.2008, exposition produite par le musée d'ethnographie de Vienne. Commissaires : Barbara Plankensteiner, Yves Le Fur.
Eventail cultuel d'Osun (détail)

Dan, Dangbé, Legba



L'allusion humaine est ainsi constante dans toutes les représentations parlées ou jouées du dieu, accusée de temps en temps par un symbolisme spécifique, comme dans le cas de Dan, serpent python et arc-enciel, messager unissant les êtres et les mondes, symbole de fécondité dont deux avatars s'identifient l'un au cordon ombilical qui conduit l'enfant jusqu'au sol où la mère accouche, l'autre au pénis dont il est le produit et que symbolise en retour le palmier ho-de.

Marc Augé, Le Fétiche et le corps pluriel, Corps des dieux, sous la direction de Charles Malamoud et Jean-Pierre Vernant, Gallimard 1986, p.171.

Le dieu Dan (serpent) est associé à plusieurs divinités voduns, du Bénin à Haïti : Danballa Hwédo, et l'Esu Elegbéra des Yoruba, Legba chez les Fon, le gardien des portes, en particulier celle des temples, et des carrefours. Dieu contradictoire de l'ordre et du désordre, du Bien et du Mal, ses figurations phalliques ont contribué à son identification à Satan par les missionnaires. C'est aussi le maître de la magie.

Insigne-autel en fer forgé, représentation de Dan (Dan Ayido Houedo ?), seuil d'une chapelle vodoun. Lyon, musée des Confluences(...) (Legba) habite tous les lieux où des mondes séparés entrent en contact. Il passe de l'un à l'autre, les fait communiquer entre eux (...) seul Esu-Legba avec son pouvoir de transformation peut métamorphoser le conflit en harmonie.
Stefania Capone, La quête de l'Afrique dans le candomblé : pouvoir et tradition au Brésil, Karthala 1999 (p.60-61)
Le culte toujours vivant du serpent python à Ouidah, port du Bénin, serait rattaché à une antique légende : une femme, nommée Avé, y avait apporté un python bienfaiteur, qu'elle portait autour de son cou. Le roi Agbar la consulta pour savoir comment remporter une bataille, et le python fit preuve d'un pouvoir apotropaïque.
Avé lui conseilla de prendre le serpent dans la main, et de les présenter aux adversaires. C'est ce qu'ils firent. Les ennemis effrayés prirent la fuite.

Pierre Merlo et Christian Vidaud, Dangbé et le peuplement houeda, in Etudes réunies et présentées par F.de Medeiros, Colloque de Cotonou, 1984 (p.269)

Bruce Chatwin, Le Vice-Roi de Ouidah, Paris, Grasset 2003


EN CONSTRUCTION

Tété-Michel Kpomassié, L'Africain du Groenland, Préface de Jean Malaurie, Paris, Flammarion, 1981.


EN CONSTRUCTION

 

AMERIQUES


Codex de Florence


Quetzalcoatl Serpent enroulé en spirale, 1350
Peu après la capitulation en 1521 du dernier souverain aztèque, Quauhtemoc, devant les troupes de Cortès, sont rédigés les premiers récits indiens de la conquête ; composé en langue nahuatl, le Codex de Florence est l'un de ces importants récits épiques apparentés à une ancienne forme poétique, melahuacuicatl, destinée sans doute à des proférations rituelles, et qui "peut être considérée comme partie constitutive cruciale d'une première forme d'identité culturelle"(p.16). [1]
Dans ce fragment, les émissaires de Motecuhzoma, l'empereur, offrent de somptueux présents à Don Hernando Cortés qui vient de débarquer au Mexique : ils ont pensé que c'était lui, notre seigneur Quetzacoatl, qui était arrivé - parce que le légendaire souverain du royaume toltèque de Tula devait reprendre possession de son royaume lors d'une année Un-roseau, et que 1519, année du débarquement de Cortés, devait coïncider justement avec cette date (p.386)[2]

[1] Récits aztèques de la conquête. Textes choisis et présentés par G.Baudot et T.Todorov, traduits du Nahuatl par G.Baudot et de l'espagnol par P.Cordoba. Le Seuil, 1983. (p. 16)
[2] ibid. (p. 386)


Telle était la parure de Quetzalcoatl : un masque de serpent ouvragé avec des turquoises; une armure de parade de plumes de quetzal  ; un collier de jade tressé au milieu duquel un disque d'or est posé ; et un bouclier croisé d'or, ou encore parsemé de coquillages d'or, frangé de plumes de quetzal et d'une banderole en plumes de quetzal ; et un miroir dorsal orné de plumes de quetzal, mais ce miroir dorsal est comme fait d'un bouclier de turquoises, incrusté de turquoises, tapissé de turquoises collées. Et des chapelets de jade avec des grelots en or ; ensuite, voici le propulseur en turquoise, uniquement une turquoise entière, avec une sorte de tête de serpent ; et des sandales d'obsidienne.

Codex de Florence, Livre XII, qui dit comment on fit la guerre ici, en la ville de Mexico. Le récit des informateurs indiens de Tlatelolco, recueillis entre 1550 et 1555 par Fray Bernardino de Sahagun, Histoire générale des choses de nouvelle Espagne. (Laur.Medic.Palat.220, fols 408r°-494r°) In Récits aztèques de la conquête. Textes choisis et présentés par G.Baudot et T.Todorov, traduits du Nahuatl par G.Baudot et de l'espagnol par P.Cordoba. Le Seuil, 1983. (p. 54-55)

La Légende des Soleils


Le manuscrit de la Légende des Soleils est la copie partielle d'un manuscrit datant de 1558. Il donne accès aux mythes fondateurs de la cosmogonie aztèque, au sein de laquelle le dieu Quetzalcoatl, ou serpent à plumes, ( - c'est à dire oiseau-serpent, de Quetzal, l'oiseau, et coatl, le serpent, ou le jumeau) joue un rôle essentiel, puisque c'est à lui que les civilisations méso-américaines attribuent la création du ciel et de la terre. Divinité chtonienne et ouranienne, instaurateur de la notion de sacrifice, il incarne la totalité. Cet épisode de la création des hommes se passe en l'an 2-Roseau ( après l'ère des 4 premiers Soleils). Accompagné de son nahual (son double), Quetzalcoatl en est le héros.

Serpent à deux têtes
















Les dieux tinrent conseil et dirent : qui habitera (la terre) puisque le ciel s'est immobilisé et que le Seigneur de la terre s'est arrêté ? (...) Les dieux étaient inquiets. (...) Alors Quetzalcoatl s'en fut à la région des morts; il aborda Mictlantecuhtli et Mictlacihuatl  et leur dit : tu gardes les os précieux, je viens les chercher.
Par un subterfuge, le dieu parvient à faire sonner la conque qui lui permet d'emporter les os.
Mictlantecuhtli l'entendit ; il dit alors : C'est bien! Prends les os! Ensuite, il dit à ses serviteurs, les Mictèques : Allez lui dire qu'il faut qu'il laisse les os! Mais Quetzalcoatl répondit : Non! Je les emporte pour toujours! et il dit à son nahual : Va leur dire que je reviendrai les rendre! et l'autre cria : je viendrai les rendre! Quetzalcoatl remonta rapidement. Lorsqu'il prit les os, il y avait d'un côté les os d'homme et de l'autre les os de femme . Il les prend, en fait un paquet et les emporte.
Mictlantecuhtli tend alors un piège mortel à Quetzalcoatl.
(...) il tomba mort. Les os précieux se répandirent sur le sol (...) Bientôt Quetzalcoatl ressuscita. Il se mit à pleurer et dit à son nahual : Que va-t-il se passer, mon nahual ?
Quetzalcoatl rassemble les os, il les porte à la déesse Cihuacoatl, Serpent-Femme, qui les moud.
Puis elle les mit dans un récipient de jade. Alors Quetzalcoatl fit couler sur eux le sang de son sexe.
Après avoir versé leur sang à leur tour, tous les dieux dirent :
Les serviteurs des dieux sont nés !

La Légende des Soleils, Mythes aztèques des origines
, Traduit du  nahual par Jean Rose. Suivi de l'Histoire du Mexique, d'André Thevet, Mis en français moderne par Jean Rose. Anacharsis éditions 2007 (p.40-42)

André Thevet, Histoire du Mexique


Dans l'Histoyre du Mechique d'André Thevet (traduction datant d'après 1547 d'un manuscrit en espagnol), Quetzalcoatl est donné pour le souverain du royaume toltèque de Tula qui, poursuivi par son rival Tezcatlipoca, s'enfuit, erre longtemps, et s'immole par le feu. Ce mythe est ainsi construit en miroir de la Légende des Soleils : apparition du dieu et de sa mission; après sa mort et sa résurrection il devient dieu créateur/il règne à Tula où il apporte la civilisation (...) il meurt et ressuscite, puis s'en va pour devenir l'étoile du soir et du matin, comme il avait été (...) le Soleil. [3] Effrayés par la monstruosité de la déesse de la terre, dévoreuse d'hommes, les dieux Calcoatl (Quetzalcoatl) et Tezcatlipuca décident de faire la terre.
[3]La Légende des Soleils, Mythes aztèques des origines
, Traduit du nahual par Jean Rose. Suivi de l'Histoire du Mexique, d'André Thevet, Mis en français moderne par Jean Rose. Anacharsis éditions 2007, Introduction (note 39, p.32)

Ils se saisirent tous deux en deux grands serpents, dont l'un saisit la déesse depuis la main droite jusqu'au pied gauche, l'autre de la main gauche au pied droit, et ils la pressèrent tant qu'elle se rompit par la moitié, et de la moitié du côté des épaules ils firent la terre (...).
En réparation à cette agression, les dieux font de chaque partie du corps de la déesse, les végétaux, les rivières et les montagnes.
Et cette déesse pleurait quelquefois la nuit, parce qu'elle désirait manger le coeur des hommes, et ne voulait pas se taire jusqu'à ce qu'on lui en donnât, ni ne voulait porter de fruit si on ne l'arrosait du sang des hommes.

La Légende des Soleils, Mythes aztèques des origines, Traduit du nahual par Jean Rose. Suivi de l'Histoire du Mexique, d'André Thevet, Mis en français moderne par Jean Rose. Anacharsis éditions  2007 (p.93-94)

ASIE


L'Epopée de Gilgamesh


L'Epopée de Gilgamesh est la plus vieille œuvre littéraire connue. Retrouvée sous forme de tablettes d'argile cuites datant de 3500 ans, elle raconte les « aventures prodigieuses »  de Gilgamesh, roi pour un tiers humain et deux tiers divin dont le règne se situe aux environs de -2600 av notre ère. Sa quête de l'immortalité le conduit, aux termes d'un voyage, au-delà de l'Eau Mortelle à rapporter une plante porteuse de vie éternelle.

(...) Or, Gilgamesh, ayant aperçu
un trou d'eau fraîche,
s'y jeta
pour se baigner.
Mais un serpent,
A l'odeur de la plante,
Sortit[ furti]vement (de son terrier)
Et l'emporta :
Et, en s'en retournant,
Il rejeta une peau.

Jean Bottéro, L'épopée de Gilgamesh, le grand homme qui ne voulait pas mourir Traduit de l'akkadien et présenté par Jean Bottéro, Paris, Gallimard, 1992 (203)

Le barattage de la mer de lait ou la conquête de l'ambroisie



Fragment de tympan (barattage de l'océan de lait). Temple de Prasat Pnom Da, Cambodge. Grès, hauteur 132 cm. Paris, musée Guimet.A l'aube des temps, les dieux, Deva et les démons, Asura, s'affrontaient sans merci pour dominer le monde. Epuisés par les luttes et sur le point de périr, les Deva demandèrent conseil à Visnu, le dieu des dieux. Il les invita alors à s'allier à leurs ennemis, les Asura et aux géants Dânava afin de conquérir le breuvage d'immortalité. Deva, Asura et Dânava jetèrent des herbes bienfaisantes dans la mer de lait aux eaux pures, et s'emparèrent de la queue de Vâsuki, le roi des Nâga. Ils l'enroulèrent autour de la montagne Mandara posée sur Visnu transformé en tortue ; puis, stimulés par ses encouragements, ils barattèrent énergiquement en tirant chacun à leur tour sur la queue du serpent. 

  Fragment de tympan (barattage de l'océan de lait). Temple de Prasat Pnom Da, Cambodge. Grès.  Paris, musée Guimet. (détail)
De ces efforts, naquirent, sous les yeux émerveillés des dieux, Surabhi, la vache qui fournit éternellement le lait et le beurre, Vârunî, la déesse du vin qui roule des yeux, et Pârijâta, l'arbre qui répand son parfum sur le monde. Vinrent ensuite les Apsaras, nymphes célestes, belles et vertueuses, et la Lune qui orne la coiffe de Shiva.

Puis, surgit des flots le Kâlakûta, poison mortel qu'avala Çiva pour qu'il ne détruise pas le monde, mais au passage, les Nâgas en avalèrent quelques gouttes, c'est pourquoi ils ont aujourd'hui la gorge noire. « Enfin se tenant sur un lotus épanoui, éclatante de grâce, la déesse Çrî, sortit de l'onde, un nymphéa à la main ». Elle alla poser sa tête sur la poitrine du dieu des dieux. C'est à ce moment que les Asura ravirent aux Deva la coupe d'ambroisie. Mais Visnu, soudain transformé en femme séduisante, détourna leur attention, reprit la coupe et la remit aux dieux qui burent l'ambroisie et devinrent immortels.

D'après Louis Renou, Anthologie sanskrite, textes de l'Inde ancienne. Traduits du sanskrit, Ed ; Payot, 1947, pp.138-140

Bhagavat Pourana


Krishna danse sur le serpent. Inde. Statuettes en bronze, hauteur 9 cm. Lyon, musée des Confluences.


Le dixième livre du Bhagavat Pourana conte des épisodes de la jeunesse  de Hari Krichna, jeune et séduisant berger, dont la divinité se révèle par ses exploits : il terrasse de  nombreux adversaires, il délivre le serpent Kâlî, puis le serpent Vidyàdhara.

Chapitre 17. La délivrance du serpent Kâlî.
Krishna danse sur le serpent. Inde. Statuette en bronze, hauteur 9 cm. Lyon, musée des Confluences.(...) Voici le prodige qu'accomplit Krichna, habile aux oeuvres merveilleuses. - comme le serpent produisait un venin terrible e brûlant comme le feu,  Krichna-Mourâri se plaça intrépidement sur sa  crête; - il frappait les mille têtes du monstre à coups redoublés, et celui-ci ne reconnaissait pas le dieu plein de miséricorde envers les humbles.La femme du serpent adresse alors une supplication à Krichna ; le dieu lui ordonne alors de partir avec Kâli sur l'île de Râvana (Ceylan) - sans crainte d'y être dévorés par l'oiseau Garouda, qui y habite. Il s'en alla dans l'île de la mer, le serpent, avec ses enfants et sa jeune femme. - Quand, rugissant comme la foudre, Garouda voulut le saisir dans ses serres, il reconnut (...) la marque du lotus du pied de Krichna qui s'était produite sur la tête de Kâli.
Chapitre 33. La délivrance du serpent Vidyàdhara
Les bergers de Gokoula sont partis avec Krichna et Nanda, son père adoptif, dans la forêt consacrée à Parvati la femme de Shiva, faire un voeu à Shiva.
(...) Les bergers, remplis d'allégresse, firent cuire des gâteaux, et passèrent toute la nuit à veiller en chantant. - Or, un serpent boa vint de ce côté, sans que Nanda s'aperçut de sa présence;  - ce serpent, sachant ce qu'il faisait, mordit Nanda, qui, dans un clin d'oeil, chancela et tomba en ce même lieu. - Nanda cria aussitôt : O Krichna! Viens à ton père ! - ce serpent, par sa morsure, m'a fait tomber; si ce n'est toi, ô Govinda, qui me sauvera ? - à ces mots, Hari courut, tua le serpent, et sauva Nanda; - il frappa le serpent en s'appuyant sur le pied gauche, mais l'animal prit alors la forme d'un être surhumain
Krichna interroge alors Vidyàdhara
ce corps de serpent, comment l'avais-tu obtenu?  - je suis Vidyàdhara ( celui qui possède la science magique (...), enflé par l'orgueil, méconnaissant la science des choses spirituelles ;
Vidyàdhara raconte alors qu'une prédiction avait annoncé sa délivrance :
 Krichna, dans sa colère, te frappera d'un coup de pied, et te sauvera ainsi de la condition infime dans laquelle tu vas renaître maintenant - depuis longtemps, je suis à l'état de serpent, mais voilà que j'ai obtenu de te voir manifesté sur la terre, ô miséricordieux !(...)

D'après Bhagavat Dasam Askand, Dixième livre du Bhagavat Pourana traduit par Théodore Pavie, Paris, Benjamin Duprat, Librairie de l'Institut, 1858  (p. 68-70, 110-112)

Monde Occidental


Ovide, Les Métamorphoses

Python


Après un déluge, la terre considérée comme une divinité dans les mythologies grecques et latines, produit de nouveaux animaux que les hommes découvrent une fois l'eau disparue. Apparaît alors un animal monstrueux, Python. Le meurtre du serpent monstrueux Python est un épisode important de la légende apollinienne : dans ce passage des Métamorphoses, Ovide insiste sur les dimensions disproportionnées du reptile pour souligner la dimension spectaculaire de l'affrontement, ainsi constitué en véritable épreuve initiatique pour le dieu Apollon.

Rodin, Apollon écrasant le serpent python, Marbre, vers 1895 (atelier du Dépot des marbres)Donc, aussitôt que la terre, couverte de boue par le déluge récent, recommença à recevoir du haut des airs la chaleur des rayons du soleil, elle donna le jour à des espèces innombrables ; tantôt elle rendit aux animaux leur figure primitive, tantôt elle créa des monstres nouveaux. Ce fut bien contre son gré qu'elle t'enfanta aussi à cette époque, colossal Python ; pour les peuples nouveau-nés, serpent alors inconnu, tu étais un objet de terreur, tant tu occupais d'espace le long de la montagne. L'archer divin [Apollon], qui jamais auparavant ne s'était servi de ses armes que contre les daims et les chevreuils prompts à la fuite, l'accabla de mille traits ; par de noires blessures se répandit le venin de la bête. Pour que le temps ne pût effacer la mémoire de cet exploit, il institua, sous forme de concours solennels, des jeux sacrés qui du serpent vaincu prirent le nom de Pythiques.

Ovide, Les Métamorphoses, Livre 1 (433-448), Tome I (1-5), Les Belles Lettres, Paris, 1969, Traduction C. Lafaye, en 1928. (pp. 22-23).

Cadmus


Cratère en calice à figures rouges, Face A : Cadmos combattant le dragon, Vers 350-340 av J.C, Paestum (Grande-Grèce). Paris, musée du LouvreOvide décrit longuement un autre combat spectaculaire, opposant Cadmus, fils d'Agénor (le roi de Tyr, en Phénicie), à un serpent monstrueux, « fils de Mars ». Cet épisode est au cœur du récit des origines mythiques de la ville de Thèbes, bâtie par Cadmus, et a de ce fait une importante valeur symbolique : c'est la victoire sur le monstre qui rend ensuite possible la fondation de la ville mais qui justifie aussi la malédiction pesant sur Cadmus ; pour avoir tué ce monstre, fils de Mars, et offensé un dieu, il sera changé en serpent ainsi que sa femme (Les Métamorphoses, livre IV (563-603)

(...) au fond de cette retraite se cachait un serpent, fils de Mars ; sa crête a l'éclat de l'or ; la flamme jaillit de ses  yeux ; tout son corps est gonflé de venin ; sa gueule darde trois langues et elle est hérissée d'une triple rangée de dents. A peine les étrangers venus du pays de Tyr  ont-ils porté leurs pas dans ce bois funeste, à peine une urne, jetée dans l'eau, a-t-elle retenti, que le serpent bleuâtre avance la tête du fond de l'antre et fait entendre l'horrible sifflement. Les urnes s'échappent de leurs mains ; le sang cesse d'animer leurs corps et leurs membres, que glace la stupeur, sont pris d'un tremblement subit. Le monstre tord sa courbe écailleuse aux anneaux inflexibles ; dans un bond sinueux il décrit des arcs immenses ; puis, dressé plus qu'à moitié au milieu des airs légers, il domine toute la forêt ; son corps, à le voir tout entier, égale en grandeur celui du serpent  qui sépare les deux Ourses.

Ovide, Les Métamorphoses, Livre III (32-46), Tome I (1-5), Les Belles Lettres, Paris, 1969, p.70. Traduction : C. Lafaye, en 1928.

Le serpent tue tous les compagnons de Cadmus. Ce dernier, ne les voyant pas revenir, se lance à leur recherche : il découvre les cadavres, recouverts du corps de l'animal, et promet de venger la mort de ses amis. S'en suit un long combat : Cadmus tente en vain d'assommer le monstre avec une pierre puis le blesse de son javelot, lui portant un coup fatal. Le fer du javelot planté dans le dos, l'animal se débat.
(...) les veines de son gosier, pleines de sang, se gonflent, une écume blanchâtre découle de ses lèvres pestilentielles ; la terre, qu'il rase, résonne sous ses écailles, et la noire vapeur qu'exhale sa gueule, à l'image du Styx, souille et infecte les airs. Tantôt il se roule en spirales formant des courbes immenses, tantôt il se dresse plus droit qu'un tronc élancé, tantôt d'un vaste bond, il se précipite comme un torrent dont les pluies accélèrent le cours et de son poitrail il renverse les arbres qui lui font obstacle. Le fils d'Agénor recule un peu ; avec sa peau de lion il soutient les assauts et tient en arrêt la gueule menaçante, en lui opposant sa lance ; le serpent furieux attaque par des vaines morsures le fer impénétrable et plante ses dents sur la pointe. Déjà le sang commençait à couler de son palais venimeux et à teindre l'herbe qu'il arrosait (...) ; enfin le fils d'Agénor, ayant enfoncé le fer dans son gosier, pesa sur le cou en l'accompagnant sans relâche, jusqu'au moment où l'adversaire, à force de reculer, se heurta contre un chêne et où sa tête fut transpercée ainsi que le bois.
Une fois le serpent mort, Cadmus entend une voix le maudire et lui annoncer qu'il sera un jour changé en serpent : la prédiction se réalise au quatrième livre des Métamorphoses. Puis, sur les conseils de Pallas, sa protectrice, Cadmus sème les dents du serpent mort : il sort de terre une armée de soldats qui s'entretuent ; cinq survivront et seront avec Cadmus les bâtisseurs de Thèbes.

Ovide, Les Métamorphoses, Livre III (73-93), Tome I (1-5), Les Belles Lettres, Paris, 1969, p.71-72. Traduction : C. Lafaye, en 1928.

Hermès, Asclépios, Athéna, Prudence


  Hermes      Relief dit Esculape et Hygie
Médiateur bienveillant, dieu des échanges et de la place publique, athlète éphèbe à l'époque hellénistique, Hermès a pour attribut le caducée à double hélice. Asclépios, lui, est associé aux serpents inoffensifs qui parcouraient son sanctuaire, à Epidaure, où séjournaient les malades espérant une guérison. Le caducée est l'attribut de ce dieu médecin, et le serpent celui de sa fille, la déesse Hygie, sœur de Panacée.
Salomon Reinach a montré la persistance de la « Déesse aux serpents de Cnossos » dans la statuaire classique
Symbole vivant des divinités telluriques, par exemple du génie du lieu à Athènes, le serpent est associé au culte d'Athéna, et sera l'emblême de la Prudence dans la culture chrétienne. (voir Matthieu, X, 16).
       Athena     Prudence

Le Livre de la Genèse, III, 2-7 et 14-16 [1

]
Le serpent propose à l'homme de se mesurer à Dieu dans son désir d'accéder à la connaissance. Cette intervention dans le jardin d'Eden fera de lui un être rampant, une créature diabolique  (diabolos en grec : qui désunit ), car elle  provoquera le renvoi d'Adam et Eve du paradis, une séparation entre la Créature et son Créateur.
[1]Toutes les citations de la Bible sont tirées de l'édition de l'abbé Crampon, Paris, Desclée et Cie, 1905.

Le serpent était le plus rusé de tous des animaux des champs que Jéhovah Dieu avait faits. Il dit à la femme: « Est-ce que Dieu aurait dit :   « Vous ne mangerez  pas de tout arbre du jardin? » La femme répondit au serpent: « Nous mangeons des fruits des arbres du jardin. Mais, du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez point et vous n'y toucherez point, que vous ne mourriez. »
Le serpent dit à la femme : «  Non, vous ne mourrez point, mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal ». La femme vit que le  fruit de l'arbre était bon à manger, agréable à la vue et désirable pour acquérir l'intelligence ; elle en prit et en  mangea ; elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il en mangea. Leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus ; et ayant assemblé des feuilles de figuier, ils s'en firent des ceintures. (...)
Jéhovah Dieu dit au serpent: « Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes des champs ; tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras la poussière tous les jours de ta vie. Et je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité ; celle-ci te meurtrira à la tête, et tu la meurtriras au talon.

Paul Valéry. Ebauche d'un serpent


Le long poème de Paul Valéry,  Ebauche d'un serpent, fait référence de manière explicite et récurrente à l'animal de la Genèse ; dans cette strophe, le poète, qui s'adresse directement au Créateur, propose une courte réécriture parodique d'un épisode fondateur, celui de la tentation d'Adam et Eve par le serpent.

En vain, Vous avez, dans la fangeDouanier Rousseau
Pétri de faciles enfants,
Qui de Vos actes triomphants
Tout le jour Vous fissent louange!
Sitôt pétris, sitôt soufflés,
Maître serpent les a sifflés,
Les beaux enfants que Vous créâtes!
Holà! dit-il, nouveaux venus!
Vous êtes des hommes tout nus,
Ô bêtes blanches et béates !

Paul Valéry, Oeuvre I, Charmes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1957, p. 140

Exode, IV, 1-5

Dieu charge Moïse de sortir le peuple opprimé d'Israël hors d'Egypte et de le conduire en Terre Promise. Pour que son peuple croie en son message et le suive, le serpent devient la preuve de la présence divine dans les mains de Moïse.

Moïse répondit, en disant : "Ils ne  me croiront pas et ils n'écouteront pas ma voix; mais ils diront: Jéhovah ne t'est point apparu." Jéhovah lui dit: "Qu'y a-t-il dans ta main ?" Il répondit: " Un bâton." "Jette-le à terre,"  dit Jéhovah. Il le jeta à terre, et ce bâton devint un serpent, et Moïse s'enfuyait devant lui. Jéhovah dit à Moïse : "Etends, la main, et saisis-le par la queue, - et Moïse étendit la main et le saisit ; et le serpent redevint un bâton dans sa main,  - afin qu'ils croient que Jéhovah, Dieu de leurs pères, t'est apparu, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob."

Les Nombres, XXI, 4-9


Alors que le peuple d'Israël fuit l'Egypte et  traverse le désert, il exprime ses doutes et son découragement face aux épreuves subies.  Le serpent devient alors la manifestation à la fois du châtiment de Dieu et son remède, il punit et il guérit. Le serpent d'airain fixé sur un poteau rappelle la figure du bâton d'Asclépios ou encore le caducée, et les chrétiens la compareront à la croix du Christ.
Reymond Pierre, Coffret : Histoire de Moïse, émail peint, 1544, Ecouen, musée national de la Renaissance
Ils partirent de la montagne de Hor par le chemin de la mer Rouge, pour tourner le pays d'Edom. Le peuple perdit patience dans ce chemin, et il parla contre Dieu et contre Moïse : "Pourquoi nous avez-vous fait monter d'Egypte, pour que nous mourions dans le désert ? Il n'y a point de pain, il n'y a point d'eau, et notre âme a pris en dégoût cette misérable nourriture." Alors Jéhovah envoya contre le peuple des serpents brûlants, qui le mordirent ; et il mourut beaucoup de gens en Israël. (...) Le peuple vint à Moïse et dit : "Nous avons péché, en parlant contre Jéhovah et contre toi. Prie Jéhovah, afin qu'il éloigne de nous ces serpents." Moïse pria pour le peuple, et Jéhovah lui dit : "Fais-toi un serpent brûlant et place-le sur un poteau ; quiconque aura été mordu et le regardera, conservera la vie." Moïse fit un serpent d'airain et le plaça sur un poteau, et si quelqu'un était mordu, il regardait le serpent d'airain, et il était sauvé.

Les Rois, XVIII, 3-5

(Ezéchias) fit ce qui est droit aux yeux de Jéhovah, selon tout ce qu'avait fait David son père. Il fit disparaître les hauts lieux, brisa les statues, abattit les idoles, et mit en pièces le serpent d'airain que Moïse avait fait, car les enfants d'Israël avaient jusqu'alors brûlé des parfums devant lui : on l'appelait Nohestan. 

Evangile selon saint Marc, XVI, 15-18

Jésus ressuscité adresse aux onze apôtres un message missionnaire :
Puis il leur dit :
« Allez par tout le monde, et prêchez l'Evangile à toute créature.[...] Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons ; ils parleront de nouvelles langues ; ils prendront les serpents, et s'ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal... »

Evangile selon saint Jean, III, 12-15

« Si vous ne croyez pas quand je vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous si je viens à vous parler de celles qui sont là-haut ?[...] Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui[ ne périsse point, mais qu'il] ait la vie éternelle. »

Apocalypse, XII, 3-4 et 7-9


Dans le récit de l'Apocalypse, sept signes manifestent les phases principales de la lutte qui aboutira au triomphe du règne de Dieu.

Albrecht Dürer, Apocalypse selon Saint Jean - La femme de soleil et le dragon à 7 têtes, estampe, vers 1498-1511, Reims, musée Le Vergeur Un autre signe parut encore dans le ciel : tout à coup on vit un grand dragon rouge, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes, sept diadèmes ; de sa queue, il entraînait le tiers des étoiles du ciel, et il les jeta sur la terre.
Et il y eut un combat dans le ciel : Michel et ses anges combattaient contre le dragon... Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, celui qui est appelé le diable et Satan, le séducteur de toute la terre (...)

Saint Augustin, De la Genèse


20. (...) Or le serpent signifie le diable, qui certainement n'était pas simple ; car s'il est dit que le serpent était le plus avisé de tous les animaux, c'est pour nous faire entendre sous des termes figurés sa ruse et sa malice.
25. (...) Adam avait-il donc reçu une épouse pour se soumettre à elle et non plutôt pour la faire obéir à ses ordres ? et la femme ne pouvait elle garder le commandement de Dieu plutôt que d'écouter les paroles du serpent ?
28. (...) Dieu ne met pas d'inimitié entre le serpent et l'homme, il en met seulement entre lui et la femme. Est-ce parce que le démon ne trompe et ne tente pas les hommes ? Il est manifeste qu'il les trompe. Est-ce parce qu'il n'a abusé que la femme et non Adam ? Mais pour n'avoir fait parvenir l'imposture jusqu'à lui que par le moyen de la femme, en est-il moins son ennemi ?

Saint Augustin, De la Genèse, Ouvrages tirés des Oeuvres complètes de Saint Augustin, traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Raulx, 1866, tome IV, chap.14 à 18.

Pierre De Lancre, Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons.


Dans l'iconographie du monde chrétien, « c'est le bouc qui incarne Satan sorcier, pas le serpent » (Nicole Jacques-Lefèvre) ; toutefois, le serpent ou les figures serpentiformes hantent les images de l'enfer, les représentations démoniaques, les scènes de sorcellerie, l'imagerie satanique, occultiste ou franc-maçonne : le serpent ne se substitue-t-il pas au Christ, sur la croix des messes noires, à la fin du XIXè siècle ? En effet, « comme les diables, depuis leur chute du ciel auraient appété la terre, aussi aiment-ils à se montrer en corps en forme de bêtes, à qui la nature a fiché les yeux contre terre sans qu'ils puissent les élever aux cieux » (Le Loyer, Discours et histoires des spectres, visions et apparitions [...], 1605 ). Des « malins esprits » évoqués par la démonologie de la Renaissance et du début du XVIIe siècle, dont Pierre De Lancre (1553 - 1631) est l'une des plus hautes figures, à l'imagerie romantique ou l'imaginaire contemporain, le serpent prête son corps à la figure protéiforme du diable.
 
Pêcheurs engloutis par des flammes et tourmentés par des diables. École européenne, Chine, XIXe siècle. Encre de couleur, papier, peinture, 156 x 45 cm. Paris, musée Guimet.(...) Le premier corps que je trouve qu'il [Satan] a emprunté, et la première des bêtes dont il a pris la forme a été le serpent : lorsque remuant au-dedans sa langue trop mobile il charma la première des femmes et la mère de notre malheur, à la faveur de ce rusé serpent. Dieu voulant faire voir par cet animal, les entortillements, ruses et replis de la tentation. (...) Les cheveux d'une femme ensevelis dans un fumier, une verge ou une baguette pourrie, se convertissent ou transforment en serpent [...] et plusieurs plantes et herbes par la transmutation, font voir plusieurs serpents, et engendrent plusieurs sortes de vers. (...) (le serpent) ayant mordu un homme, ne peut jamais retrouver son trou pour y rentrer, ni [...] se remettre dans le sein de la terre, et demeure roidi de telle sorte, qu'il faut qu'il attende à découvert que quelqu'un l'assomme. (...) Que le membre du Diable s'il était étendu est long d'environ d'une aune, mais il le tient entortillé et sinueux en forme de serpent.

Pierre De Lancre, Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons, où il est amplement traité des sorciers et de la sorcellerie. Livre très utile et nécessaire non seulement aux juges, mais à tous ceux qui vivent sous les lois chrétienne, composé de six livres, 1612. Réédition critique abrégée par Nicole Jacques-Lefèvre, Paris, Aubier, collection Palimpseste, 1982. (p.2, 241, 306-307, 224)

Friedriech Nietzsche, La Volonté de puissance


Le serpent nietzschéen est aussi figure du kaïros, cet art de saisir l'instant.
(...) L'éclair d'or séducteur qui s'allume au ventre du serpent Vita

Friedrich Nietzsche, La Volonté de puissance, Oeuvres complètes Gallimard 1988 (p.161)

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Niminouma
Le Serpent Yurlungur
milieu du XX° siècle.
Oenpelli (Australie).
Ecorce peinte, 72 x 55 cm.
Lyon, musée des Confluences






















































 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Livre des Morts de Ptahmes (Apophis)
Egypte, Nouvel Empire, 18e - 19e dynastie
papyrus peint. 
Paris, musée du Louvre





























































Intérieur du sarcophage de Tachapenkhonsou,
représentation du cycle solaire
(Mehen)
Egypte, vers 700 av. J.C.
bois peint
Paris, musée du Louvre




















































































































































































































Quetzalcoatl,
 serpent enroulé en spirale, 1350.
Mexique, Paris, musée du quai Branly






















































Serpent à deux têtes (pectoral ?).
Mexique.
Bois, turquoise, 20 x 43 cm.
Londres, The British Museum.
© The British Museum, Londres,
Dist RMN - The Trustees
of the British Museum








































































































Fragment de tympan (barattage de l'océan de lait).
Temple de Prasat Pnom Da, Cambodge.
Grès, hauteur 132 cm.
Paris, musée Guimet.
























































































































































































 





















































































































































































































































































































































Pêcheurs engloutis par des flammes et tourmentés par des diables.
École européenne,
Chine, XIXe siècle.
Encre de couleur, papier, peinture, 156 x 45 cm.
Paris, musée Guimet.
 
 
Mise à jour le 3 novembre 2008
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