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Une poupée Katchina

Poupée


Poupée des Hopis d'Amérique du Nord, j'initie les femmes et les enfants à la profondeur de leur propre culture. En moi convergent trois forces : l'esprit, qui habite mon bois et que j'incarne ; le danseur masqué, dont je garde la mémoire matérielle car ma figurine en est le corps en réduction ; le rite, que j'évoque dans la maison en faisant le lien entre l'univers religieux dominé par les hommes et celui des femmes.

Et il est absurde de limiter la vie. Un peu de ce que nous avons été et surtout de ce que nous devons être gît obstinément dans les pierres, les plantes, les animaux et les bois.
[1] 

Mon nom hopi Katchis signifie « vie, souffle vital ». Mais les Hopis m'appellent Tihu. Un peu du corps du danseur que je figure persiste dans la matière dont je suis faite. Je suis sculptée par des hommes dans la chambre cultuelle souterraine des kiwa, les habitations claniques. Les plus anciennes poupées ont été sculptées dans une racine de peuplier, par une technique de frottement. Pour ma part, je suis assez jeune, on le voit aux verticales rouges sur mon corps, à mon cou un peu formé déjà, à mes avant-bras qui sont peints. On dit que seules les couleurs de mon visage peuvent révéler mon identité. Des mains m'ont façonnée au cours du XIXe siècle, mais ma mémoire millénaire se retourne vers le passé et se projette dans l'après.

J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.[2]  

Ensemble insécable de rituel, de technique et de mythe, je participe autant d'une tradition culturelle que d'une esthétique.

Or, c'est un fait de la plus haute importance que ce mode d'existence de l'œuvre d'art, lié à l'aura, ne se dissocie jamais absolument de sa fonction rituelle.[3]

Au pays des agriculteurs pueblos, ma danse est une danse de fertilisation pour que les récoltes soient fructueuses. Je suis parfois associée au rituel du serpent qu'Aby Warburg a étudié mais n'a pas vu : il a assisté à ma danse dans la Black Mesa, ce territoire désertique en forme de promontoires rocheux. Mais la danse des Katchinas diffère du rituel du serpent, elle est « danse de masques », d'humains déguisés en esprits, alors que le rituel du serpent, lui, est « danse d'organes », selon Georges Didi-Huberman.[4]
Je suis un trublion : ni vivante ni inerte, je suis ductile aux cheminements serpentins, en détours et retours, sans immobilisation de pensée.

L'homme alors voue la bête, aigle, tigre ou serpent, à être traitée comme un homme. Les séduisantes formes de la décomposition des genres dansent dans la nuit.[5] 



Géraldine Prévot


[1] Antonin Artaud, « Secrets éternels de la culture », Messages révolutionnaires, dans Oeuvres, Paris, Gallimard (Quarto), 2004, p. 728.
[2] Charles Baudelaire, « Spleen », Les Fleurs du Mal, Paris, Librio n°48, 1994, p. 69.
[3] Walter Benjamin, uvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 77
[4] Georges Didi-Huberman, L'Image survivante, Paris, Minuit, 2002, p. 354.
[5] Paul Éluard, « L'habitude des Tropiques », Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 55.

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Poupée rituelle Katchina
.
Arizona, culture hopi.
Bois peint, ficelles, 6 x 13 x 3,5 cm.
Paris, musée du quai Branly.
 
 
Mise à jour le 31 octobre 2008
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