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Sylvie Deswarte-Rosa

Directeur de recherche au CNRS, Sylvie Deswarte-Rosa est spécialiste de l'histoire de l'art de la Renaissance.

Quel est l'environnement artistique et intellectuel dans lequel a été composé De Aetatibus Mundi Imagines ?


Francisco de Holanda (1517-1584), La Faute, dans De Aetatibus Mundi Imagines, f. 9r. Dessin à la gouache sur papier, 4,16 x 2,83 cm, vers 1551. Madrid, Bibliothèque nationale d'Espagne.© Bibliothèque nationale d'Espagne - photographie bibliothèque nationaSylvie Deswarte-Rosa. Francisco de Holanda (Lisbonne, 1517-1584), est portugais en dépit de son nom. Son père, originaire des Pays-Bas, était enlumineur et engagé dans la carrière héraldique à la cour du Portugal. Francisco de Holanda a une formation singulière entre enluminure et humanisme, plus proche des humanistes, théologiens et cosmographes de la cour que des ateliers des peintres. Cela explique l'originalité de son approche théorique et artistique dans l'Europe du XVIe siècle.
Formé à l'enluminure dans l'atelier de son père et à la cartographie auprès de son oncle le grand cartographe portugais Lopo Homem, Francisco de Holanda a reçu en outre une éducation humaniste, teinté de néoplatonisme, à la cour de Jean III dans les années 1530 à Évora (...). Il resta deux ans en Italie (1538-1540),  profitant dans la Rome de Paul III du réseau des amis des anciens ambassadeurs portugais à Rome. Il eut accès ainsi au cercle de Vittoria Colonna et de Michel-Ange qui lui inspirera les célèbres Dialogues de Rome, le Deuxième Livre de son traité Da Pintura Antigua. Michel-Ange est alors occupé à la peinture du Jugement Dernier à la chapelle Sixtine. Holanda rencontra les plus grands artistes alors à Rome. Durant ces deux ans en Italie, les deux grandes œuvres de Holanda, son traité Da Pintura Antigua (achevé en 1548 et resté manuscrit), et sa Chronique du Monde en images, De Aetatibus Mundi Imagines (BN Madrid) sont comme en gestation. Au cours de son voyage vers Rome, il trouve le thème de l'histoire du Monde partout, dans le Campo santo de Pise, à Orvieto dans les bas-reliefs de la façade de la cathédrale, à Florence sur les portes du Baptistère... Une fois à Rome, c'est sans doute à la vue de la voûte de la chapelle Sixtine, qu'il dut prendre la décision de traiter à son tour ce thème selon le même programme iconographique, mais d'une tout autre manière.

De retour au Portugal l'été 1540, il s'attela à l'écriture de son traité, introduisant le néoplatonisme dans la théorie de l'art, et en 1545, parallèlement à l'écriture de son traité, il commença sa Semaine de Création du Monde, où il va créer ses images les plus extraordinaires. Il inclura ensuite ces images dans une vaste chronique du Monde en six Ages qui l'occupera jusqu'au soir de sa vie. S'il suit dans la mise en page de la semaine de la Création le modèle des grands livres de gravures de Dürer où l'image fait face à une grande page blanche avec le texte, il  suit ensuite dans sa chronique du monde  le célèbre Liber chronicarum d'Harmann Schedel (Nuremberg,1493), monument des débuts de l'imprimerie, mais en le transformant profondément.

Que sait-on de la signature au serpent de Francisco de Holanda ?

Cette signature très particulière se trouve dans son premier livre de dessins, les Antigualhas, conservé à la Bibliothèque de l'Escorial, qu'il dut offrir à Philippe II à la fin de sa vie. Au bas de l'allégorie de Rome triomphante, la signature consiste en un serpent autour duquel est placée une feuille de papier où est inscrit son nom latinisé. Curieusement, Greco aura recours à une signature similaire au bas du Martyre de saint Maurice. Tous les deux ont eu affaire au Laocoon, Holanda le dessinant dans la cour du Belvedere à Rome et Greco peignant trois tableaux du Laocoon qu'on retrouva à sa mort dans son atelier. Associé à la signature, le serpent est symbole d'éternité, obtenue grâce aux lettres et aux arts. Associé au miroir, le serpent est aussi l'attribut de la Prudence, thématique abondamment traité dans les livres d'emblème. Le serpent de Rome triomphante doit aussi être lu en liaison avec le miroir que  Rome Déchue a laissé choir, oubliant de s'y regarder.


Par ailleurs, pour la petite histoire, on peut imaginer que l'idée de la signature au serpent est venu à l'esprit de Holanda de façon plus prosaïque, en regardant sa table de travail où il se sert comme presse-papier d'un de ces petis  serpents de bronze à l'antique qu'on produisait de Padoue et qu'il rapportait d'Italie (...).  Signe d'éternité, signe de Prudence, ce sont là les aspects positifs du serpent, mais on va le retrouver sous un plus mauvais jour dans les De Aetatibus comme signe de la faute à l'origine de l'histoire du monde.

Qu'en est-il des représentations du serpent, dans les pages de la Genèse ?


La Faute (détail)On trouve le serpent bien sûr dans la scène de La Faute, non pas avec une face féminine comme à l'accoutumé, mais avec une face masculine aux yeux très enfoncés, yeux de traîtres comme Holanda l'écrit dans son chapitre sur la physiognomonie, inspiré de Gauricus. Holanda donne ce même faciès aux yeux enfoncés à Caïn que l'on trouve en haut de l'arbre, à côté du visage d'Abel, l'arbre se transformant en arbre généalogique.
Le texte de la Genèse, sous l'image, «  Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Dieu avait faits...» a pris les ondulations du corps du serpent, invention poétique toute simple, reprenant les jeux de lettres des poètes et des typographes.


La Réprimande


Dans La Réprimande, ce qui est très beau, ce sont ces racines parsemées d'yeux. J'ai d'abord cru que c'était les yeux de Dieu qui voient tout ; mais à la fin des De Aetatibus Mundi Imagines, il est question de la "Concupiscence des yeux" dans le texte copié sous l'image du Triomphe de la Concupiscence : « tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair et concupiscence des yeux et orgueil de la vie ». C'est le célèbre passage de la première Epître de Jean sur la triple concupiscence (1 Jn 2,15-17) analysé par saint Augustin et plus tard par Bossuet dans son Traité de  la Concupiscence. Cette concupiscence des yeux a commencé avec Eve lors de la Faute.
On peut encore interpréter ces racines, qui se confondent avec les orbes du corps du serpent,  en termes cabalistiques. Les racines couvertes d'yeux sont les racines arrachées de l'arbre des Sephiroths selon Pico de la Mirandole dans la Quatrième de la première série de ses Conclusiones Cabalisticae : « Peccatum Ade fuit truncatio regni a ceteris plantis » (le péché d'Adam fut l'arrachement du Royaume des autres plantes).
On assiste dans cette image à l'abandon de la couleur et à l'adoption d'une nouvelle mise-en-page, marquant l'entrée dans l'histoire. Sous l'image, dans deux tondi, de part et d'autre de la citation biblique, se font face la Mort et la Providence divine. Avec l'introduction de la Mort, on entre dans un monde qui a perdu ses couleurs, un monde qui se vit en noir et blanc. Il ne reste plus que l'or pour les rayons divins, et le rouge carmin pour le sang du Christ et des martyrs.

Propos recueillis par Servane Dargnies.

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Mise à jour le 2 novembre 2008
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