
Plus connu sous le nom de serpent à plumes, Quetzalcoatl signifie précisément oiseau-serpent,
quetzallin désignant en nahuatl une longue plume d'oiseau et
coatl
le serpent. Ce dieu précolombien représente ainsi l'union des éléments
ouranien et chtonien, à l'origine de la création du monde dans la
mythologie aztèque. En effet, ce même symbolisme est à l'œuvre dans une
légende relatant les débuts de la civilisation des Aztèques (1325-1521
environ après J.-C.). Sur ordre divin, ils durent fonder la capitale de
leur empire, Mexico, à l'endroit où ils trouveraient un aigle perché sur
un cactus, occupé à dévorer un serpent.
Quetzalcoatl est associé à
de nombreuses figures légendaires, dont celle d'un roi toltèque de Tula,
cité à laquelle il apporta grandeur et prospérité. Mais leurré par son
ennemi Tezcatlipoca, il fut contraint de quitter Tula et finit par
s'immoler sur un rivage désert.
C'est au regard de ce sort funeste
que l'on dit souvent du serpent à plumes qu'il figure le destin tragique
de la civilisation aztèque, placée, dès ses origines, sous le signe de
la déperdition. L'âge des Aztèques est en effet le cinquième dans leur
chronologie mythique - chiffre qui symbolise l'instabilité contre
laquelle lutte l'organisation méticuleuse des calendriers aztèques, et
les sacrifices humains, source d'énergie jugée nécessaire à la
subsistance du monde dans la culture aztèque, qui affaiblissaient
l'Empire, car on devait y faire couler le sang aztèque - on sacrifiait
donc des prisonniers naturalisés qu'il fallait renouveler en grand
nombre par des guerres incessantes.
Sculptée par un artiste aztèque,
cette œuvre en ronde-bosse est un objet archéologique. Originaire de la
vallée de Mexico, elle porte l'empreinte de la Mésoamérique : elle est
taillée dans l'andésite qui lui donne sa coloration rougeâtre. Sa forme
ovoïde matérialise ici le Tout homogène et indifférencié, le mariage
originel et absolu de la terre et du ciel. La conjonction de ces deux
éléments, propres à la divinité créatrice, est clairement symbolisée par
sa composition : dans la partie supérieure, un visage humain placé dans
une gueule ouverte dont la langue bifide forme une sorte de pectoral,
tandis que des plumes revêtent la partie inférieure de la sculpture. Les
mains, les pieds, disposés symétriquement, complètent l'image d'un dieu
aux formes humaines. Les traits pacifiques du visage ne sont pas sans
évoquer le célèbre roi de Tula.
Mais les mains, fixées de chaque côté
du tronc, évoquent aussi les ailes rabattues d'un oiseau. L'enroulement
linéaire des plumes, repris par le motif circulaire des boucles,
représente le serpent. Les crocs qui ornent le front du dieu lui font un
diadème dentelé : représenté sous la forme d'un objet
anthropozoomorphe, le serpent à plumes est ainsi un être parfaitement
hybride.
Laura Ménard