Philip Taaffe.
Ce qui m'attire dans les sciences naturelles a quelque chose à voir
avec le fait que, si on imagine la nature et le monde naturel il y a
cinq ou dix siècles, c'était quelque chose d'inconnu, quelque chose de
primordial, mystérieux et insondable
dans sa complexité et dans sa densité. Progressivement, année après
année, siècle après siècle, nous sommes lentement devenus capables
d'identifier, d'apprendre, de décrire et de dessiner des images de ce
monde naturel ; c'est pourquoi j'ai très tôt aimé les livres d'histoire
naturelle - il y a quelque chose de très poignant dans les
premières descriptions d'animaux. Puis, au XIXe siècle, on a obtenu plus
de détails grâce aux sciences du comportement, aux études de plantes, à
la compréhension de la pollinisation, des fougères. Je pense aux gens
qui étudient ça, petit à petit, qui écrivent des livres pleins de
descriptions détaillées du caractère infini de la vie sur terre : c'est à
couper le souffle.
Au cours des siècles derniers, l'histoire naturelle mélangeait mystère et science : nous avons perdu beaucoup de ce mystère.
Si
je peux fouiller un petit aspect de ce mystère, si je suis capable
d'attirer l'attention sur quelque chose que j'ai trouvé, et avec quoi je
suis personnellement lié, et si je peux en tirer une œuvre - c'est
important pour moi.
Dans
mon œuvre, tout revient essentiellement à un processus de description.
Mon attitude envers la répétition relève de l'effet cumulatif
d'applications continues de lignes et de couleurs. Si nous nous
concentrons là-dessus, et que nous les voyons comme cristallisées dans
des patrons ou des traces, qu'ajoutent-elles ? Elles deviennent une
sorte de champs activement structuré. Je considère cette expérience
comme une entrée dans un état de transe. Je cherche à m'ouvrir à la
possibilité d'une expérience extatique, qui permettrait de dépasser
l'état statique. - J'ai des racines irlandaises, et je pense que les
traditions chamanistes de la culture celtique constituent l'une des
sources sous-jacentes de mon œuvre. Mon travail relève aussi du
mouvement, ou de la manière dont la perception se fait dans une série
continue d'aperçus. Qu'est-ce que je souhaite que mon art accomplisse ?
Est-ce que je m'attends à ce qu'il soit comme une rencontre physique ?
Je pense que la meilleure chose que l'on puisse espérer, c'est d'être
capable d'entrer dans un autre monde.