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Ithyphalliques et pioupiesques [...]
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé !
Arthur Rimbaud
(Qui n'es-tu pas, Osiris ?)
Tu es fait de limon du Nil, de sable, de pierres précieuses broyées et de céréales sèches.
On
t'a enduit de résines noires : gommes d'acacia et d'oliban, huiles de
myrrhe et de térébinthe, mêlées de silice en poudre. Tu mesures
cinquante centimètres, la hauteur d'une coudée.
Tu es un dieu ; tu es
aussi le pharaon. On t'appelle « L'Éternellement Beau »,
l'immarcescible. Tu es encore chaque paysan égyptien, chaque mortel. Tu
es « Celui qui est à la tête des Occidentaux », le guide des défunts
disparus à l'Ouest, avec le soleil.
Lorsqu'on t'a démailloté, tu
portais déjà ton masque de cire verte, doré à l'orpiment ; ta bouche
était couleur turquoise, ta barbe couleur de lapis-lazuli. Tu portais
aussi ta couronne-atef, qui signifie l'état de perfection divine - nafer -, la promesse de ta résurrection en Rê.
Tu es cinq fois ithyphallique ; cinq uraeus
- cobras femelles dressés - se distribuent la surface de ton corps. Ton
sexe également est dressé ; poussée de désir vert, invocation verticale
de la sève, de la germination.
Encore un uraeus,
sur ta mitre : ces ithyphalles de cire sont ton attribut, ta gloire, la
promesse de ta fécondité. Ils sont surmontés du disque solaire ; le
jaillir imminent de ta lumière, la formule de ton devenir en Rê. Tu
participes au cérémonial du Mystère d'Osiris, au mois de Khoïak, dernier
mois de la crue annuelle. Tu accompagnes le retrait du flot, la
réapparition des terres, les semailles neuves de lin, de blé et d'orge.
Tu fais un vœu pour que ce sol renaisse.
Avant de te placer dans un
caveau, ton « jardin », on a moulé ton dos avec la boue du fleuve. On a
semé sur ton corps des céréales dorées ; puis on les a arrosées,
patiemment, jusqu'à germination.
On t'a retiré, ensuite, de ton
jardin. Tu as subi l'épreuve symbolique de l'hiver. Tes pousses se sont
flétries. Sur un lit de momification, on a imprimé ta face, on a
reproduit ton effigie. Ensuite les taricheutes t'ont enrobé de
bandelettes et tu as glissé, peu à peu, vers le sommeil. Et tous t'ont
attendu.(Ton cœur ne bat plus un temps mesurable ; tu perdures)
Et
à l'aurore du vingt-sixième jour du mois de Khoïak, l'aurore du
solstice d'hiver, ta longue nuit laisse place au matin. C'est la sortie
de ta gestation, ta résurrection en Lumière.
Il paraît que si l'on
se penche sur toi, tout contre toi, on peut t'entendre bruire. On dit
que c'est comme une espèce de sifflement, très doux ; on ne sait pas
bien s'il vient de tes narines, ou des cobras qui se dressent sur ton
corps.
On dit que ça ne crie pas, que ça ne gémit pas : ça
chuinte plutôt ; comme le froissement d'un papyrus qu'on roule ; comme
la matière de l'homme, tant qu'elle dure.Certains disent que ce bruit
est un bruissement de l'âme ; ils racontent que c'est l'âme de l'Égypte
ancienne qui nous chuchote une sagesse simple, qui nous chantonne
quelque chose de très beau.
Olivier Liron