Dans
une petite chapelle de la section Asie du musée du quai Branly, on peut
voir, baignée dans une lumière tamisée, une statue de femme surmontée
de serpents dressés. Elle est entourée d'une multitude de petits
personnages répondant aux mêmes caractéristiques : stylisés et colorés.
Cette femme au visage doux est Manasâ, la déesse des serpents, et ces
figurines représentent les acteurs de sa légende. Découvrons ensemble
cette déesse terrible et bienveillante à la fois.
Manasâ est coiffée
d'une tiare à rosaces de lotus. Elle porte des pendants d'oreille vert
et argent ainsi qu'un collier de fleurs. Au milieu de son front est
représenté un troisième œil de forme verticale. La déesse est assise en
tailleur, dans la position « sur le lotus ». Elle a quatre bras,
dont deux esquissent le geste du don et de l'apaisement. Ses deux autres
mains tiennent une fleur à six pétales et un grand serpent noir à
capuchon taché de couleurs vives. Sept nâgas surmontent la déesse ; ils
sont accrochés à ses épaules et à son dos.
Cette statue a été
réalisée en carton sur un socle de bois. Le corps de la déesse est
recouvert d'un enduit de terre. Les serpents qui la surmontent sont
constitués de moelle végétale très légère. On a également utilisé
d'autres matériaux pour orner cette effigie : par exemple, les boucles
d'oreilles qu'arbore Manasâ sont faites de papier brillant vert et
argent, sa tiare est agrémentée de papier rouge et de petites rosaces de
carton. L'ensemble de la statue est recouvert d'une couche de peinture
brune, bleue ou noire, rehaussée ponctuellement de rouge.
Malgré sa
grande taille, cette effigie est très légère. Les matériaux employés ne
sont donc pas des matériaux « nobles » comme le bronze ou la pierre. Ils
nous donnent des indices quant aux origines de cette statue. Manasâ est
en effet une déesse villageoise, qui relève d'un culte local.
Manasâ est vénérée dans le nord-est de l'Inde, en particulier au Bengale et en Assam, d'où vient la statue qui nous intéresse.
Elle
est invoquée pour prévenir et soigner les morsures de serpent. Elle
peut également garantir la fécondité et la prospérité de ses dévots. En
effet, le serpent est associé à la fertilité dans cette région, car il
prolifère lors de la saison des pluies. Dans les endroits où il est
particulièrement présent, chaque foyer possède un autel voué au culte de
Manasâ. Si des offrandes et des prières lui sont rendues
quotidiennement, la déesse aux serpents se montre bienveillante. Mais
gare aux oublieux ! Si elle est négligée, Manasâ se montre sans pitié et
retire sa protection. Les contrevenants risquent, pour eux ou leur
famille, la morsure des serpents vengeurs.
Généralement, Manasâ est
vénérée sans le support d'une idole. Elle peut-être adorée sous la forme
d'une branche d'arbre, d'un pot de terre ou d'un serpent d'argile.
Étant donné la qualité de cette statue, on peut supposer qu'elle était
abritée dans un lieu de culte important, comme un temple.
Éloïse Véronési