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Le serpent et la mangouste

Evocation                                                                                                      


On dit de moi que je suis celui qui sait placer les choses où il convient. Mais ce qui m'importe surtout, c'est de recréer la vie, d'imiter les mouvements complexes de la nature. On s'insurge devant mon art parce qu'il me faut dépouiller les corps sans vie et les remplir d'artifices pour qu'ils retrouvent leurs courbes, leurs silhouettes. Pour ma part, je me pense sculpteur de corps, capable de recréer des scènes, de réveiller les forces plongées dans l'inertie. Cette fois, j'ai choisi de figurer un duel impossible, celui de la force faite courbe, énergie pure contre la petitesse : le combat d'avance perdu, pense-t-on, de la mangouste contre le cobra.

Je vous ai choisis tous les deux, ô mes adorés, pour vous rendre à l'éternité. Par la magie de mes mains, je vous ai ôté les organes de la vie, trop éphémères, et vous ai offert le spectacle perpétuel de vos forces. Je vous ai posés sur un socle de bois clair pour que vos couleurs réunies ressortent davantage, que votre rencontre soit éclatante ; la peau brillante par mes soins, vernie, repeinte, retendue sur un plâtre moulé au creux de son ancien corps.

Ma mangouste au nom de fruit, ma toute petite aux allures de martre, je ne sais si tu viens d'Europe, d'Asie ou d'Afrique, mais j'ai choisi de penser que tu étais cette « souris du Pharaon » tant adorée dans l'Égypte antique. Toi la si fragile, tu nous montres que l'apparence est bien trompeuse, car au cobra trop orgueilleux tu as enseigné le danger. Tu es la seule qui, avec l'homme, représente pour lui une menace.

En enroulant les anneaux d'or et d'ébène du serpent autour de tes reins, j'ai voulu figurer la lutte du Bien contre le Mal, peut-être, mais aussi l'espoir renouvelé d'une victoire de David contre Goliath.
J'ai fait en sorte que vos regards soient à jamais plongés l'un dans l'autre en une longue provocation, et paradoxe insensé, je vois, dans les griffures que l'un inflige et les crocs que l'autre fait briller, une sorte de duo amoureux, une démonstration violente de désir - la mangouste contre le cobra, le masculin contre le féminin, la lutte éternelle, la liaison infinie... J'ai cru entendre le serpent siffler « ma mangouste, ma charmante, ma croqueuse d'anneaux ».

Le cobra semble encore, dans la force qu'il déploie, vouloir ignorer les astuces et la vivacité de la mangouste, dont le pelage épais la protège, et qui sait se tenir hors de portée de ses crochets jusqu'à ce qu'elle puisse lui planter ses crocs dans la nuque. Certes le naja, auquel j'ai redonné toutes les apparences du mouvement (alors que je l'ai figé là pour toujours), semble prêt à fondre sur le petit animal pour le dévorer, mais tout cela n'est qu'apparence : j'attends de mon public un peu plus d'imagination.
J'ai lu une fable de Jean In-Koli Bofane, du Congo, intitulée : Pourquoi le lion n'est plus le roi des animaux ? Tu y incarnes la liberté contre la tyrannie du lion, la toute-puissance des serpents emplis de poison.

Ma mangouste, on t'a dessinée il y a bien longtemps sur des fresques et des bas-reliefs au temps de l'ancien empire d'Égypte, on t'appelait parfois, je crois, ichneumon. Avec toi, j'ai choisi de figurer l'incessant combat contre Apophis, celui qui n'en finit pas de vouloir dévorer le soleil, lui qui, grâce à toi, ne cesse de briller.
Je resterai metteur en scène derrière le rideau, charmeur et dompteur insoupçonné, mais lorsque je verrai dans le regard des enfants l'étonnement effarouché face à votre puissance à jamais vibrante, je serai heureux.

Alexandra Bourse

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Évocation d'un combat entre un cobra indochinois (ou serpent à monocle, naja kaouthia) et une mangouste (herpestes javanicus).
60 x 35 x 30 cm.
Lyon, musée des Confluences
 
 
Mise à jour le 31 octobre 2008
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