
Niki
aime les mythes. Elle en invente donc sans se préoccuper outre mesure
de l'histoire des arts et traditions populaires, sans avoir étudié
toutes les civilisations qui ont traduit le monde en symbole [...]. Son
univers de signes, de formes, de couleurs et de constructions en plâtre,
en fil de fer, en polyester et fibres de verre... font songer aux
bestiaires des temples hindous, peuplés d'animaux sauvages et de toutes
les beautés d'une nature inapprivoisée
.
Pontus Hulten, Niki de Saint-Phalle.
Sur
une forme ovoïde couverte d'une mosaïque de miroirs se tient une femme
aux formes généreuses, au corps d'un bleu éclatant, vêtue d'un court
drapé doré. Elle brandit des baguettes dans chaque main. Un long serpent
multicolore entoure le globe de ses anneaux, s'enroule autour de la
jambe de la femme ; il ouvre sa gueule rouge contre l'imposante cuisse
bleue.
Niki de Saint-Phalle a consacré vingt ans de sa vie à la
création du Jardin des tarots, vingt-deux sculptures monumentales, dont
certaines sont habitables et qui représentent les vingt-deux arcanes
majeurs du tarot divinatoire. La lecture de cet univers poétique est
parfois difficile, mais l'artiste tenait à ce que les visiteurs du
jardin soient laissés libres de leur interprétation. Réalisée en béton
sur une armature métallique de Tinguely, sculpteur et époux de Niki,
cette sculpture représente le XXIIe arcane du tarot : Le Monde.
Traditionnellement
représenté par l'image d'une femme dans une mandorle, cet arcane
majeur, souvent associé au tétramorphe des quatre évangélistes,
symbolise le macrocosme. Il est interprété par l'artiste d'une manière
toute personnelle : reprenant le thème de la femme-monde, elle lui donne
les traits caractéristiques de ses Nanas, ces femmes grosses,
rondes et pleines de couleurs que Niki a sculptées et dessinées durant
une grande partie de sa vie. En équilibre sur un pied, en pleine course,
cette figure féminine est aussi, comme ses Nanas, une « victoire », une conquérante.
Principe
masculin, le serpent s'oppose et s'unit à la fois au principe féminin.
Sur un registre ici résolument profane, cette association n'est pas sans
évoquer le motif iconographique de la Vierge, cette nouvelle Ève qui
foulait aux pieds le serpent du péché originel menaçant le monde
terrestre. Ils sont ici tous deux liés, peut-être dans une étreinte de
réconciliation, un thème cher à l'artiste. Ainsi, triomphant lui aussi,
paré de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, le serpent multicolore
s'associe-t-il dans cette œuvre au thème de l'universalité, comme dans
de nombreuses cultures, où il est celui qui maintient l'équilibre du
monde. Il est omniprésent dans l'œuvre de Niki de Saint-Phalle. Dans l'Arbre de vie, c'est tour à tour la vie et la mort ; il orne aussi la maquette du Temple idéal qui avait pour vocation d'accueillir toutes les religions.
Éloïse Véronési