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« Timeo Danaes et dona ferentis » (Je crains les Grecs, jusque dans leurs présents) :
Laocoon est ce prêtre de Poséidon (ou d'Apollon) qui tenta en vain de
dissuader les Troyens de faire entrer dans Troie un cheval de bois
abandonné sur le rivage par les Grecs, en prétendue offrande à
Athéna ; la déesse (ou Apollon) se vengera en lui envoyant deux
monstrueux serpents.
Sculpté par trois sculpteurs rhodiens au ier siècle avant J.-C. (peut-être d'après un bronze datant de -140 avant J.-C.), Le groupe de Laocoon a été découvert à Rome le 14 janvier 1506 près de la Domus Aurea.
Nommé
par le sort pontife de Neptune, Laocoon, près des autels ornés de
guirlandes, immolait un taureau superbe au souverain des mers. Tout à
coup (j'en frémis encore), vomis de Ténédos par un calme trompeur, deux
serpents s'allongent sur la plaine liquide, et, roulant leurs orbes
immenses, glissent de front vers le rivage. Leur luisante poitrine se
dresse au milieu des flots, et de leur crête sanglante ils dominent les
ondes ; leurs flancs se traînent en effleurant l'abîme, et leur
queue se recourbe au loin en plis sinueux. Soudain la vague écume et
gronde : les monstres ont touché l'arène ; et l'œil rouge de
sang, les prunelles enflammées, ils font siffler leur triple dards dans
leurs gueules béantes. Tout fuit épouvanté : mais plus rapide que
l'éclair, le couple affreux vole aux autels. Là, saisissant d'abord les
deux jeunes fils du grand-prêtre, il embrasse d'une horrible étreinte
leurs membres délicats, et déchire de morsures leur chair palpitante. En
vain leur père accourt, et balance un trait menaçant : déjà les
reptiles l'ont enlacé lui-même ; lui-même ils l'enchaînent, ils le
serrent de leurs vastes anneaux ; et repliés deux fois autour de
ses flancs robustes, deux fois environnant son cou nerveux de leurs
cercles d'écailles, ils dépassent fièrement sa tête de leurs têtes
altières. Lui, roidissant ses deux bras contre ces nœuds épouvantables,
tout couvert d'un sang livide, et dégouttant des noirs venins qui
souillent son bandeau sacré, il pousse vers le ciel d'effroyables
clameurs.
Virgile, Éneïde, chant II, 202-222, Charles Héguin de Guerle trad., Paris, Auguste Delalain, Imprimerie-Librairie, 1825.
[...]
le Laocoon qui se trouve dans la demeure de l'empereur Titus, qu'il
faut préférer à toute la peinture et toute la sculpture. D'un seul bloc
de pierre les grands artistes Agésandros, Polydoros et Athénodoros de
Rhodes réalisèrent Laocoon, ses fils et des nœuds de serpents
magnifiques, grâce à l'accord de leur idée.
Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre XXXVI, 37.
Le
serpent glissant multiplie ses morsures et emprisonne ses jambes dans
ses anneaux. Sous la pression de ces spirales, les membres inférieurs se
contractent, les cuisses s'enflent, le cœur oppressé cesse de battre et
les veines livides sont gonflées d'un sang noir.
Carmen de Laocoontis Statua (1506), Iacopo Sadoleto (Jacques Sadolet, 1477-1547.) In Gruter, 1608, Deliciae CC. italorum poetarum. Hujus superioris aevi illustrium, collectore Ranutio Ghero, 2 volumes, Frankfurt, 1608 ; cité par Gotthold Ephraïm Lessing, Laocoon ou Des frontières de la peinture et de la poésie [1766], traduction de Courtin (1866), Paris, Hermann, 1990, p. 83.
La
douleur du corps et la grandeur de l'âme sont éparties avec la même
vigueur dans toute la structure de la statue, et se font en quelque
sorte équilibre. Laocoon souffre, mais souffre comme le Philoclète de
Sophocle ; sa détresse nous pénètre jusqu'au fond du coeur, mais
nous souhaiterions pouvoir supporter la détresse comme cette grande âme
elle-même.
Winckelmann, Réflexions sur l'imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture (1755), Léon Mis trad., Paris, Aubier, 1954, p. 144-145.
S'il
est vrai que, surtout dans la pensée des anciens Grecs, le fait de
crier dans la souffrance physique n'est pas incompatible avec la
grandeur d'âme, ce n'est pas pour exprimer celle-ci que l'artiste s'est
abstenu de faire crier sa figure de marbre [...] l'artiste voulait
représenter la beauté la plus grande compatible avec la douleur
physique. Celle-ci, dans toute sa violence déformatrice, ne pouvait
s'allier avec celle-là. L'artiste était donc obligé de l'amoindrir [...]
parce qu'il donne au visage un aspect repoussant [...].
Gotthold Ephraïm Lessing, Laocoon ou Des frontières de la peinture et de la poésie, ouvr. cité, p. 47, 51.
Afin
de bien saisir le dessein du Laocoon, le mieux est de se placer à une
distance convenable et les yeux fermés. Qu'on les ouvre ensuite pour les
refermer immédiatement après, et on verra le marbre tout entier en
mouvement. [...] Le même effet se produit lorsqu'on voit le groupe de
nuit, éclairé par une torche.
J. W. Goethe, « Sur Laocoon », Écrits sur l'art, 1798, Jean-Marie Schaeffer trad., Paris, Flammarion, 1996, p. 169-170.
La Renaissance, si elle ne l'avait découvert, aurait dû l'inventer, à cause justement de sa bouleversante éloquence pathétique.
Aby Warburg (1914) cité dans Aby Warburg, Le Rituel du serpent. Récit d'un voyage en pays pueblo, Paris, Macula, 2003, p. 114.
Le
serpent est le sujet animal du verbe enlacer et du verbe glisser. Les
reptiles veulent toucher [...]. Il est tout de même étrange qu'on ait
tant écrit sur le Laocoon sans guère se mettre du point de vue du
serpent.