Je
m'apprête. J'entends au loin les vibrations des tambours dun dun qui se
préparent à chanter. Juste un coup d'œil sans me dévoiler, et
j'entraperçois la foule, sur la place du marché, qui attend dans le
calme et la joie. C'est un jour heureux, c'est le printemps, les
premières pluies sont tombées.
J'ai déjà enfilé mon costume aux mille
couleurs dans lequel on a perforé deux petits trous pour que je puisse
danser librement et observer le spectacle qui va se dérouler autour de
moi. Il ne reste plus qu'à poser et fixer solidement sur ma tête le
masque. Pendant de longues heures, il fera de moi un danseur paré pour
cette cérémonie. Hier c'était Efe, la première partie de la cérémonie,
et nous avons dansé de minuit jusqu'à l'aube. Aujourd'hui, c'est
Gèlèdé. Aujourd'hui, c'est
gè - adoucir,
lè - les parties génitales de la femme,
dé
- adoucir soigneusement... Aujourd'hui, nous allons rendre hommage aux
forces de la femme, à ses forces intimes et puissantes, à sa fertilité.
Citoyen du peuple yoruba, je vais invoquer nos mères pour qu'elles nous
aident dans notre vie quotidienne, que nous soyons prospères et en bonne
santé, que nos champs soient fertiles, que nos femmes mettent au monde
de beaux enfants.
À la précédente cérémonie, je portais une tête sur laquelle s'enroulait un serpent. C'est le symbole de la vigilance, car
le serpent dort mais il continue de voir.
Cette année, je vais porter un autre masque, un autre bel adage. Je
sens déjà les mouvements du coq et du serpent s'entre-dévorant sur mon
heaume. C'est par deux que nous danserons cet affrontement.
Indifférent
aux bruits du combat, mon masque se dresse, et il veille
tranquillement, car il sait. Il sait comment tout cela va se terminer.
Je suis son messager, et aux yeux de tous, je vais le faire vivre. Je
vais pouvoir danser et chanter :
Si tu ne m'attaques pas, alors je ne t'attaquerais pas, et nous pourrons vivre ensemble.
Mais si tu me mords, alors tu seras mordu à ton tour. Tous comprendront
que nous devons rester humbles face aux forces sacrées et invisibles,
que nous devons respecter nos puissants, nos ancêtres.
Un serpent.
C'est étrange, car hier en rentrant chez moi, j'ai croisé sur ma route
un serpent. Il était là, il me regardait fixement sans bouger. Je n'ai
ressenti qu'une légère peur, car ce n'était pas un mauvais présage, mais
une bénédiction. Ma femme et moi espérons avoir un enfant, et le
serpent est venu à moi pour me dire que nous étions prêts, que l'enfant
serait bientôt des nôtres. Parfois, il nous prévient d'être plus
prudents. Cette fois, il était bon, et son regard était serein.