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Georges Bohas

Georges Bohas est Professeur des Universités, responsable de la section arabe et langues sémitiques à l'ENS-LSH


Dans la célèbre Epopée de Gilgamesh, rédigée en akkadien, à la fin du récit, dans la onzième tablette, Gilgamesh cherche l'immortalité. Après avoir appris qu'une plante de jouvence peut lui redonner sa jeunesse, il décide d'aller la chercher au fond de la mer et de la rapporter dans son royaume pour la faire tester par un vieillard. Sur le retour, il se rafraîchit dans un trou d'eau, quand surgit un serpent qui s'empare de la plante et « rejette instantanément ses écailles ».
C'est ainsi, par ce récit étiologique, qu'on expliquait la mue des serpents dont on pensait qu'ils renaissaient à chaque nouvelle peau. Le serpent, outre ses capacités de régénérescence, est aussi un animal que l'on craignait : dans le texte, il est appelé « lion du sol » [1], nêshu sha qaqqari.
A travers les langues sémitiques, d'autres représentations sont accolées au serpent. Et parmi ces représentations, la plus connue est bien sûr celle du Serpent du Mal, le Serpent Tentateur, que l'on retrouve dans l'Ancien Testament rédigé en hébreu.

D'un point de vue linguistique, parmi les nombreuses formes lexicales rattachées à l'idée de « serpent », il semblerait que la forme proto-sémitique soit plus à chercher du côté du radical bathan, qu'on retrouve en éblaïte, en ougaritique, ou en arabe pour désigner la couleuvre.

la porte aux serpents de la citadelle d'Alep (XIIIème siècle)

Un autre radical, tout aussi répandu dans les langues sémitiques, semble intéressant pour notre réflexion :
- en ougaritique et en hébreu, le « serpent » se dit nahash
- en syriaque, il se dit hewya, il est assigné à la racine H - W -Y. Or, la « vie » est, elle, assignée à la racine la « vie » est assignée à la racine H-Y-Y. Ainsi, on observe un rapport formel puisque les racines sont très proches.
- en arabe, on retrouve exactement la même racine - la racine H - Y - Y, qui signifie « vivre » ; or, hayya  signifie à la fois un « être vivant », et un « serpent ». Ici, c'est donc exactement la même racine.
Le mot « serpent » est un mot féminin en arabe, puisqu'il se termine orthographiquement par un « t », et que le « t » final est une marque du féminin en arabe.

Qu'en est-il du mot hnesh / hnoush que les jeunes utilisent parfois aujourd'hui pour désigner la police, comme d'autres parlent de poulet' ? Il semblerait que ce mot désigne le serpent en arabe.


Hnesh désigne bien le serpent en arabe, particulièrement dans les dialectes maghrébins. Hanash signifie d'abord une « mouche », et puis c'est l'idée de ramper, du reptile. Enfin, cela désigne  une espèce de serpent non-venimeux qui se gonfle quand on le prend.

Mais en hébreu, le mot « serpent » n'est-il pas le même que celui qui signifie « deviner » ?


En effet, nahash, signifie « serpent », mais aussi « observer les signes », « faire de la divination ». C'est certainement un phénomène d'homonymie lié aux nombreuses évolutions dans la structure des racines. Je ne pense pas qu'il y ait un rapport sémantique ou anthropologique ; c'est un peu comme le mot « louer » en français, qui signifie « faire l'éloge de » ou « faire une location » : ce sont deux mots qui se sont télescopés à partir de deux racines latines différentes, laudare pour le premier et locare pour le second.

Retrouve-t-on cette homonymie dans une autre langue sémitique ?


En arabe, nihashaton signifie du « pain grillé » - pour l'instant, rien de semblable. Mais il y a aussi nahasa qui est l'idée du  « malheur », du « mauvais augure » : si on fait le lien avec l'hébreu, on peut penser que  le « s » arabe est devenu « sh » en hébreu, cela arrive souvent. Ainsi, le nahash hébreu, qui signifie « deviner », viendrait de cette transformation phonétique de nahasa, « mauvais augure », sans lien sémantique avec le nahash qui signifie « serpent ».

[1] L'Epopée de Gilgames. Le grand homme qui ne voulait pas mourir, traduction de Jean Bottéro, Editions Gallimard, Paris, (L'aube des peuples) 1992, p.202-205

Propos recueillis par Jimmy Markoum

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La Porte aux serpents,

citadelle d'Alep
XIIIème siècle

 
 
Mise à jour le 4 novembre 2008
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