Le
bouddha Sâkyamuni méditait, la sixième semaine après l'Éveil, assis
sous un arbre, au bord d'un lac. Un violent orage éclata et la pluie fit
peu à peu monter dangereusement les eaux. Le cobra Mucilinda, le roi
des nâgas, sortit du lac, enroula ses anneaux sous le corps du bouddha
et déploya ses capuchons heptacéphales (à sept têtes) en éventail
au-dessus de lui pour le protéger de la pluie durant tout le temps que
dura l'orage. Le bouddha, perdu dans sa méditation, les yeux clos, resta
dans cette position jusqu'à la fin de l'orage, ignorant du danger qui
le guettait.
Issu de la tradition mythologique indienne, le
nâga est, en Asie du Sud-Est, un animal fantastique à corps de serpent,
possédant le plus souvent de multiples têtes à capuchons de cobras (dans
l'iconographie khmère, les nâgas sont représentés avec un nombre impair
de têtes) ; il est considéré comme le gardien des richesses contenues
dans les sols. Au Cambodge, le nâga est une figure symbolique
particulièrement fondamentale car il est aussi la divinité protectrice
des eaux. Selon la tradition ancienne khmère, l'équilibre de la société
doit reposer sur la correspondance entre l'élément féminin, l'eau, et
l'élément masculin, la terre. Le nâga est l'incarnation symbolique de
cette union entre les deux éléments, il est à la fois mâle et femelle,
et peut vivre aussi bien sur la terre que sous les eaux. Le nâga fait
également écho à la tradition khmère selon laquelle les serpents sont
liés aux origines de la royauté.
Les
rois khmers étaient eux-mêmes associés à des dieux vivants sur terre,
la sculpture montre ainsi le bouddha paré des attributs royaux, le
diadème et le chapeau conique (mukuta) ouvragé, portant de nombreux
bijoux, colliers multiples, lourds pendants d'oreille, bracelets. Cette
représentation du bouddha protégé par le nâga est caractéristique de
l'iconographie bouddhique au Cambodge, elle fait son apparition dans la
statuaire khmère dès la fin du Xe siècle. Les sculpteurs khmers ont créé
de très nombreuses représentations du bouddha dans l'attitude de
contemplation qui suivit l'épisode de l'Éveil, sous l'arbre de la Bhodi.
Ils donnèrent ainsi naissance à ce que l'on appelle dans la statuaire
khmère le fameux « sourire d'Angkor » que l'on retrouve sur cette
statue. L'attitude du bouddha y est sereine, le visage, aux paupières
mi-closes, est empreint d'une grande douceur, et la bouche aux lèvres
fines esquisse cet énigmatique sourire. Le bouddha est assis sur le
serpent Mucilinda en position du lotus, l'attitude typique de la
méditation ; ses mains reposent l'une sur l'autre, paumes vers le ciel,
la main droite sur la main gauche, tandis que ses jambes sont repliées
en tailleur.
Il n'est nulle part fait mention des artistes
sculpteurs qui se sont succédé sur le site royal d'Angkor pour créer ce
monde de pierre, mais il est certain que leur travail tendait à
rechercher une beauté formelle destinée à vénérer les divinités
représentées.
Nathalie Martin